Ainsi même cet imbécile de Cholin me montre le chemin qu’il faut suivre, se dit Julien.
Huit jours après le passage du roi de *** à Verrières, ce qui surnageait des innombrables mensonges, sottes interprétations, discussions ridicules, etc., etc., dont avaient été l’objet, successivement, le roi, l’évêque d’Agde, le marquis de La Mole, les dix mille bouteilles de vin, le pauvre tombé de Moirod, qui, dans l’espoir d’une croix, ne sortit de chez lui qu’un mois après sa chute, ce fut l’indécence extrême d’avoir bombardé dans la garde d’honneur Julien Sorel, fils d’un charpentier. Il fallait entendre, à ce sujet, les riches fabricants de toiles peintes, qui, soir et matin, s’enrouaient au café, à prêcher l’égalité. Cette femme hautaine, madame de Rênal, était l’auteur de cette abomination. La raison ? les beaux yeux et les joues si fraîches du petit abbé Sorel la disaient de reste.
Peu après le retour à Vergy, Stanislas-Xavier, le plus jeune des enfants, prit la fièvre ; tout à coup madame de Rênal tomba dans des remords affreux. Pour la première fois elle se reprocha son amour d’une façon suivie ; elle sembla comprendre, comme par miracle, dans quelle faute énorme elle s’était laissé entraîner. Quoique d’un caractère profondément religieux, jusqu’à ce moment elle n’avait pas songé à la grandeur de son crime aux yeux de Dieu.
Jadis, au couvent du Sacré-Cœur, elle avait aimé Dieu avec passion ; elle le craignit de même en cette circonstance. Les combats qui déchiraient son âme étaient d’autant plus affreux qu’il n’y avait rien de raisonnable dans sa peur. Julien éprouva que le moindre raisonnement l’irritait loin de la calmer ; elle y voyait le langage de l’enfer. Cependant, comme Julien aimait beaucoup lui-même le petit Stanislas, il était mieux venu à lui parler de sa maladie : elle prit bientôt un caractère grave. Alors le remords continu ôta à madame de Rênal jusqu’à la faculté de dormir ; elle ne sortait point d’un silence farouche : si elle eût ouvert la bouche, c’eût été pour avouer son crime à Dieu et aux hommes.
— Je vous en conjure, lui disait Julien, dès qu’ils se trouvaient seuls, ne parlez à personne ; que je sois le seul confident