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QUELQUES CARICATURISTES FRANÇAIS.

une forêt, des brigands et leurs femmes mangent et se reposent auprès d’un chêne, où un pendu, déjà long et maigre, prend le frais de haut et respire la rosée, le nez incliné vers la terre, et les pointes des pieds correctement alignées comme celles d’un danseur. Un des brigands dit en le montrant du doigt : Voilà peut-être comme nous serons dimanche !

Hélas ! il nous fournit peu de croquis de cette espèce. L’idée est bonne, mais le dessin est insuffisant ; les têtes n’ont pas un caractère bien écrit. Cela pourrait être beaucoup plus beau, et, à coup sûr, ne vaut pas les vers de Villon soupant avec ses camarades sous le gibet, dans la plaine ténébreuse.

Le dessin de Charlet n’est guère que du chic, toujours des ronds et des ovales. Les sentiments, il les prenait tout faits dans les vaudevilles. C’est un homme très-artificiel qui s’est mis à imiter les idées du temps. Il a décalqué lopinion, il a découpé son intelligence sur la mode. Le public était vraiment son patron.

Il avait cependant fait une fois une assez bonne chose. C’est une galerie de costumes delajeuneetdela vieille garde, qu’il ne faut pas confondre avec une œuvre analogue publiée dans ces derniers temps, et qui, je crois, est même une œuvre posthume. Les personnages ont un caractère réel. Ils doivent être très-ressemblants. L’allure, le geste, les airs de tête sont excellents. Alors Charlet était jeune, il ne se croyait pas un grand homme, et sa popularité ne le dispensait pas encore de dessiner ses figures correctement, et de les poser d’aplomb. Il a toujours été se négligeant de plus en plus, et il a fini par faire et recommencer sans cesse un vulgaire crayonnage, que ne voudrait pas avouer le plus jeune des rapins, s’il avait un peu d’orgueil. Il est bon de faire remarquer que l’œuvre dont je parle est d’un genre simple et sérieux, et qu’elle ne demande aucune des qualités qu’on a attribuées plus tard gratuitement à un artiste aussi incomplet dans le comique. Si j’avais suivi ma pensée droite, ayant à m’occuper des caricaturistes, je n’aurais pas introduit Charlet dans le catalogue, pas plus que Pinelli ; mais on m’aurait accusé de commettre des oublis graves.

En résumé : fabricant de niaiseries nationales, commerçant patenté de proverbes politiques, idole qui n’a pas, en somme, la vie plus dure que toute autre idole, il connaîtra prochainement la force de l’oubli, et il ira avec le grand peintre et le grand poëte, ses cousins germains en ignorance et en sottise, dormir dans le panier de l’indifférence,