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LE CATHOLICISME ET M. VEUILLOT.

suffire. Il serait difficile de faire comprendre, à qui n’aurait pas lu les livres de M. Veuillot, quelles invectives cette plume a écrites contre tout ce qui, peu ou prou, se sert de la plume. Personne n’a trouvé grâce devant ce journaliste, ni le poëte comique, ni le poëte lyrique, ni le romancier, ni le philosophe ; pour tous, il a voté la mort, non point sans phrases, hélas ! et ceux-là avaient droit à une plus large part d’insolence et d’outrages, à qui Dieu avait donné le plus de génie, et que l’admiration publique entourait de plus de gloire. Les bustes les plus humbles même ne furent point épargnés. II suffisait qu’un homme fût dressé en marbre sur une place, pour que la main de M. Veuillot, comme celle des enfants qui courent les rues, griffonnât sur le piédestal une bouffonnerie, une obscénité ou une injure. Je passe Voltaire à cette rage de dénigrement ; on sait que l’auteur de l’essai sur les mœurs, avec tout son esprit, est le butin nécessaire de ces messieurs ; mais combien d’autres ont été atteints avec lui ! M. Veuillot ne s’est point contenté d’attaquer les gens nominalement ; il a fait, comme faisaient à Lyon Fouché et Collot, des catégories et des exécutions en masse. Savez-vous, par exemple, ce qu’est le poëte ? Une chose légère, a dit La Fontaine ; un être ailé et sacré, a dit Platon. M. Veuillot accorde qu’il soit ailé, mais sacré, non pas. En deux mots, il l’a défini : moineau lascif.

Le poëte est un moineau lascif. Voilà qui est net, élégant et poli, bref de plus, et facile à retenir. Vous l’entendez, tous les poëtes, quelsqu’ils soient, tragiques, comiques, lyriques, pastoraux, satiriques, didactiques, élégiaques, épiques, de tous les temps, de tous les pays, qu’ils aient en main la trompette, la lyre, la guitare, le chalumeau, la viole, sont jugés en masse, excommuniés par tribu, flétris d’un seul substantif et d’une seule épithète. M. de Saint-Aulaire, avec son quatrain pour tout bagage, est frappé aussi bien que Chapelain, avec ses vingt ou trente mille vers. Le nombre ne fait rien à l’affaire, le temps et le pays non plus. L’auteur du Mahhabharâta, cette immense épopée religieuse de l’Inde, quelque brahme vénéré autrefois sur les bords du Gange, est un moineau lascif, non moins que M. Dorat ou M. le cardinal de Bernis, si chers à Iris ou à Chloris. Je ne vois même pas comment Salomon, ce sage roi inspiré de Dieu, l’auteur du Cantique des Cantiques, pourrait être exempté de l’aile, du bec et des plumes, et de la lasciveté du moineau. Il s’agit bien de faire de beaux