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LE PRÉSENT.

rêta, se frottant d’abord les deux yeux et se sentant prêt à chanceler comme un homme ivre. Il y avait là en effet un spectacle inouï ! Sur la terrasse de la Maison mortuaire, madame Éléonore et Georges de Kœblin causaient aussi tranquillement que s’ils s’étaient aimés toute leur vie. Le bel Onfray voulut se rapprocher encore ; c’était bien elle et c’était bien lui ! Madame Éléonore, le dragon en cornette, souriait de son mieux et Georges la regardait faire ! Mais la mairesse aperçut le Parisien, et elle le montra du doigt à son compagnon, qui haussa tristement les épaules. Une rage indicible, un de ces fougueux emportements de vanité, auxquels il cédait toujours, saisit alors le bel Onfray. Il se précipita vers la porte de la Maison-Grise, cette porte mystérieuse et quasi murée qui depuis deux ans ne s’était jamais ouverte, et il se mit à y frapper violemment. En un clin d’œil tous les voisins se trouvèrent aux fenêtres ; Arsène continuait de frapper.

Il entendit enfin la voix tremblante de Julie demandant qui était là.

— Moi ! moi ! s’écria-t-il, moi qui veux vous voir.

La porte s’ouvrit à demi… Il s’élança par l’étroit passage. Julie ne respirait plus.

— Oui je voulais vous voir, répéta-t-il en tombant presque à ses genoux.

— Qui êtes-vous enfin, monsieur, s’écria madame André, et que nous voulez-vous ? Êtes-vous un homme d’honneur, vous qui prenez tant de droits d’un service rendu, vous qui compromettez sans peur deux pauvres femmes abandonnées de tous, sachant bien que la reconnaissance leur fermera la bouche et qu’elles n’oseront pas se plaindre ? Si notre reconnaissance peut avoir une borne, c’est vous, monsieur, qui la lui aurez donnée.

— Maman, maman, interrompit Julie, il était fou tout à l’heure, mais il n’est pas si coupable… Arsène, dites vous-même… ce qui peut vous faire pardonner…

—… C’est que nous nous aimons, madame, balbutia le bel Onfray en pâlissant.

L’aïeule ne répliqua rien, elle regarda sa fille…

— Ah ! je vous ai comprise, mère, s’écria la jeune femme, et moi, j’allais l’oublier ! Aujourd’hui ! Quel rapprochement !… Pourquoi êtes-vous venu ? dit-elle à Arsène.