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LE SPHYNX.

dame Julie Moreau ! » — François avait obtenu les confidences du vieux serviteur : la guerre venait à l’instant même d’éclater à Kœblin. Madame du Songeux, depuis la veille, avait chassé trois domestiques ; sa douleur ne s’était trahie que par des exécutions de ce genre, jusqu’à une visite que madame Éléonore lui avait faite en courant. Après avoir reconduit la mairesse, Anna avait demandé son frère. Sans emportement alors et sans éclat, après lui avoir reproché toutefois d’être la première cause de l’injure qu’elle recevait, elle lui avait signifié que ses seules relations avec la Maison-Grise devaient avoir à jamais rompu entre eux tout lien de convenance même, qu’ils ne pouvaient plus vivre ensemble, et qu’elle était prête à lui acheter sa part d’héritage dans le petit château. Georges avait tout accepté ; il venait de partir pour Bayeux.

— Je n’en dirai point mon meâ culpâ, répliqua le maître. M. de Kœblin et sa sœur devaient se séparer tôt ou tard : Georges est un tartuffe ou un fou. — Telle fut l’oraison funèbre d’une amitié de quinze ans. — Tu sauras, réprit-il, quelles sont les promenades de madame du Songeux. — Et le soir il accourut à la Maison-Grise.

Julie, qui comptait sur cet empressement, avait voulu se lever. Arsène la trouva étendue à demi dans une horrible bergère qui datait, ainsi que tout l’ameublement de la maison, d’un siècle pour le moins. Mais les vieux cadres lui seyaient décidément à ravir. Elle n’avait point eu le temps de reprendre ses vêtements de deuil ; elle s’était seulement enveloppée à la hâte d’un large peignoir violet ; sa merveilleuse chevelure demeurait éparse et ruisselait sur ses épaules. Elle était encore très-pâle ; ses paupières rosées semblaient alourdies et ses mains pendaient languissamment sur le bord du fauteuil. Un frémissement convulsif l’agitait par instants tout entière ; mais elle assurait à sa mère qu’elle se trouvait bien. Arsène sentit de nouveau le pouvoir qu’exerçait sur lui cette fine beauté… Quelque émotion qu’il subît au fond de son cœur, la grotesque allégorie de Georges ne cessait d’y gronder comme une menace infernale ; le Sphynx tournait toujours !

— Oh ! madame ! s’écria-t-il d’abord avec feu, — puis sa voix se ralentit, — que j’ai de regrets de vous avoir redit toutes ces sottises ! Pouvais-je supposer qu’elles vous affecteraient si durement ? Je n’avais point senti l’injure pour mon propre compte ; mais vous, ne me permettrez-vous pas au moins de vous venger ?… Oui, reprit-il, ce serait