Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/60

Cette page n’a pas encore été corrigée
48
LE PRÉSENT.

t-elle. Monsieur Moreau, vous êtes destitué !… Boire avec un valet !…

Monsieur François n’en voulut point ouïr davantage : par discrétion sans doute ; il s’évada.

À l’hôtel de la Tour-d’Argent, retiré au fond de ce salon improvisé tant bien que mal avec des débris, et où chaque chose exhalait une âcre odeur de vétusté, Arsène se mourait d’ennui. — Il écouta tristement le récit de son domestique ; les fureurs de la mairesse ne purent lui arracher un sourire, et l’incident du panier lui parut sans couleur. « Encore un vilain dénoûment, » pensait-il ; — et il dit tout haut :

— Le bonhomme est bien faible de se laisser mener par cette mégère… Il savait pourtant que j’avais encore besoin de lui. J’irai donc seul.

Le bel Onfray était obligé de traverser le bourg dans toute sa longueur pour arriver à la Maison-Grise ; mais il n’aperçut pas un seul des regards qui, de toutes les fenêtres, étaient braqués contre lui. Il cheminait presque douloureusement ; à mi-route, il se demanda s’il ne ferait pas bien de remettre cette visite au lendemain. Sous les embarras du jour, son enthousiasme de la veille avait fléchi ; ce n’était plus ce cœur où l’amour avait un instant jailli comme une étincelle d’immortalité. — Qu’allait-il dire à Julie ? Qu’il l’aimait ? — Cela était vrai, sans doute, et pourtant il n’en savait plus rien ? Il fallait bien maintenant qu’il l’aimât, puisqu’on le haïssait lui-même au petit château ! — Mais le faux audacieux n’eut aucune envie, ce jour-là, d’entrer à la Maison-Grise par la porte du bourg, et il mit, au contraire, une admirable résignation à prendre un chemin détourné. Il atteignit enfin la chétive demeure de Julie. La jeune femme était seule dans cette petite pièce aussi vieille et aussi morose que le salon d’Arsène à la Tour-d’Argent ; la même impression de froid y saisit le dandy qui entrait.

Julie était charmante pourtant dans sa robe noire et dans son austère ajustement. Elle rappelait ces jeunes puritaines qu’on enveloppait aussi de voiles sombres, et qui tremblaient de pécher en laissant échapper un seul rayon de leur vive jeunesse. Julie devait avoir été autrefois la plus folle enfant du monde, et, malgré ses infortunes, elle n’avait encore rien de grave que le cœur ; mais ce pauvre cœur était si malhabile ! — À la vue d’Arsène, elle essaya pourtant de ne point sourire, et déjà ses lèvres s’étaient d’elles-mêmes entr’ouvertes.

— Où est donc mon frère ? demanda-t-elle.