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LE SPHYNX.

— Attendez ! cria-t-il au domestique ; il s’était redressé tout à coup et il disparut, au grand ébahissement de M. François ; mais il revint au bout de cinq minutes, tenant deux grands verres sous le bras, un pot de cidre d’une main, et de l’autre une bouteille fluette et suffisamment poudreuse, défendue par un énorme cachet vert qui tenait toute la longueur du goulot. — Toute réflexion faite, dit-il au valet, votre maître a bien fait de quitter le château… Je n’irai pas aujourd’hui à la Maison-Grise, car il faut être prudent… demain nous verrons… Ah ! vous aviez cru que j’étais inconsolable… Nous autres, Normands, nous prenons vite notre parti.

— Ceci est du Bordeaux, reprit-il en frappant sur la bouteille. Il commença à faire couler tout doucement la précieuse liqueur dans le verre de son convive, et puis il versa le cidre dans le sien. — Demain, peut-être, serai-je encore obligé de demeurer chez moi ; mais, aprèsdemain, je serai tout à votre maître… Ah ! ce jeune homme va bien s’ennuyer maintenant dans le pays !

— L’hôtel où nous logeons est un cabaret, dit François avec importance, en faisant claquer sa langue sur son palais satisfait.

Le maire se rapprocha de lui et remplit une seconde fois son verre : — Buvez donc, lui dit-il. Si M. Onfray était mieux avec ma femme, je lui offrirais les Rbsières… c’est le bien de madame Éléonore, que nous vendrions à bon marché. Une maison avec des cheminées dans toutes les Chambres, et un parquet en chêne dans la salle d’en bas. Et puis un jardin anglais, mon ami ; cela est rare.

— Très-rare, dit le valet. Y a-t-il un étang ? Nous aimons la pêche.

— Unw petit étang ; seulement, il n’y a plus de carpes.

— Parce qu’il y a des brochets, fit le Crispin en se versant lui-même un troisième verre de Bordeaux.

— Sans doute… Et puis, reprit le maire, madame Eléonore en aimerait peut-être mieux le jeune homme…

— Cela n’est point indifférent, répliqua François.

— Combien avez-vous de gages ?… s’écria le maire.

François ouvrait la bouche pour mentir…

La porte s’ouvrit avec fracas ; un énorme panier tomba sur la table, lancé par une main que Milon de Crotone aurait admirée ; pot, verres et bouteilles volèrent en éclats, et madame Éléonore apparut.

— Ah ! il faut qu’on m’envoie chercher. Ah ! j’arrive bien, s’écria-