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LE PRÉSENT.

toute la scandaleuse histoire ; mais il avait eu l’adresse d’en obtenir, le matin, un nouveau récit de la bouche même de son maître, et il courait en ce moment chez le maire, chargé d’une mission et de plusieurs confidences. « Où va-t-il ? » se demanda-t-on. La femme du notaire fut la première à le deviner, et comme la garde opiniâtre que son mari montait sur la place lui donnait quelque impatience, elle proposa, pour en finir sur-le-champ, d’envoyer chercher madame Éléonore à son bien des Rosières. Cependant M. François, que les regards accusateurs des passants intimidaient assez peu, entrait chez le magistrat.

Le pauvre homme se promenait dans son jardin, le plus tranquillement du monde. Il dessina tout de suite un bon sourire sur ses lèvres en apercevant un inconnu, et, quand maître François lui eut exposé, non pas sans modestie, son état et ses qualités, il le fit entrer dans sa maison avec de grandes marques de bienveillance. Ses administrés ne cessaient de le dire : M. Moreau n’était pas fier. « Bien, bien, » fit-il dès qu’il sut que le valet avait quelque chose à lui raconter de la part d’Arsène, et que celui-ci l’attendrait dans une heure à l’entrée du chemin des Pommiers pour retourner avec lui à la Maison-Grise. « Surtout, mon ami, soyez discret. Mais voyons un peu l’histoire… » Et il fut tout oreilles.

— Ahl j’aimerais mieux avoir perdu deux louis ! s’écria-t-il en apprenant que le bel Onfray avait fui du petit château comme un malfaiteur. Moi, retourner chez ma sœur !… Ce jeune homme est fou. Tout le bourg est instruit maintenant, et madame du Songêux est peut-être partie pour les Rosières. Aller à la Maison-Grise ! Mais je ne passerais pas seulement devant la porte, dût-on me faire préfet !… Cet écervelé, ce beau fils !… Et pourquoi vous envoie-t-il ici ? Est-ce qu’on connaît un homme pour lui avoir parlé trois on quatre fois ? Je vous dis, moi, que je ne connais point votre maître… Non, non, reprit-il, tu sais bien, ma chérie, que je ne le connais pas.

Las de se démener contre son mauvais destin et de s’arracher les cheveux, il parlait en ce moment à une grande toile jaune et ronge appendue à la muraille. Hélas ! c’était le portrait de madame Éléonore.

— Ah ! si je pouvais lui apprendre quelque bonne nouvelle après-demain, quand elle reviendra ! soupira-t-il en se laissant tomber sur une chaise.