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LE PRÉSENT.

verne des âmes raisonnables et libres ! » Et ailleurs, l’esclave stoïcien laisse échapper de son cœur cet élan de la prière : « Ah ! si nous étions reconnaissants et justes, nous nous rassemblerions tous sous la voûte des cieux, comme sous celle d’un temple, et nous entonnerions d’un même cœur cet hymne : Dieu seul est grand ! » La voix de saint Jean l’Évangéliste trouvait un écho dans le même temps, et des disciples dans les longues galeries du palais de César. Clément, cousin de Domitien, consul, et sa fille, Domitille, Acilius Glabrion, officier du palais, ne voulaient plus donner à César ce qui était à Dieu. Plus éloquente encore que la morale d’Épictète, la mort du Christ lui faisait déjà concurrence !

Honneur à la philosophie ancienne, pour avoir partagé avec le christianisme la persécution de Domitien, et mêlé le sang de ses héros avec celui des disciples du Christ ! Néron avait déjà fait ouvrir les veines de Sénèque et de Pétus Thraséas, en même temps qu’il éclairait ses jardins avec des victimes chrétiennes. On dit l’alliance de la philosophie spiritualiste et de la foi chrétienne difficile, parce qu’on la croit neuve ; je la tiens pour facile parce qu’elle est ancienne. Quelle alliance méritait plus de vivre et de s’affermir par des concessions réciproques et de mutuels sacrifices, que celle qui avait commencé sous les coups de la même tyrannie, qui s’était conclue dans les douleurs de l’exil, et qui fut scellée dans le sang de communs martyrs ?

Différente fut la mort de Titus et de Domitien comme avait été leur vie. L’aîné des fils de Vespasien avait assisté à une longue représentation de l’amphithéâtre, quand il se prit tout à coup, sans qu’on sut pourquoi, à verser d’abondantes larmes. Malade, il se fit transporter à la campagne de son aïeule, où son père était mort ; près de mourir, il exprimait un regret : celui d’avoir commis une faute qui ne se pouvait pardonner. C’est un secret qu’il a emporté avec lui ; on est heureux cependant de soupçonner dans cette urne funéraire qui renferme le meilleur des empereurs, un secret, un sentiment presque chrétien : la repentance. Cet empereur a des traits de sentiments, une mélancolie qui surprennent. Il avait de singulières vertus de famille ; il savait pleurer. N’est-ce point peut-être à son échange d’affection avec la juive Bérénice qu’il doit ses éclairs de sentiments, ses attendrissements étrangers aux Romains ?

Le défiant et peureux Domitien en vint à redouter l’approche de ses affidés, du préfet du prétoire, de son chambellan, de ses affranchis, de sa femme même, et la clarté des astres qu’il avait su faire complices de ses crimes. Tout tournait contre lui, même l’astrologie, dont il avait fait un instrument de règne. Un astrologue. Asclétarion, lui prédit sa mort prochaine, chose facile à prévoir dans l’empire romain.

En effet, Domitien venait de demander l’heure en rentrant de juger quelque procès, quand Stephanus, un affranchi, introduit probablement par l’Impératrice Domitia dans ses galeries, vint lui présenter un mémoire, une délation, pour être plus