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REVUE DES COURS PUBLICS.

sur sa mort, de chercher avec eux sa sécurité dans les étoiles ; il les questionne sur les espérances, les prétentions, les pensées secrètes que les heureuses constellations peuvent inspirer à ses ennemis. Il s’est fait dresser une liste de tous les grands personnages de Rome, avec la date de leur naissance, et la constellation sous laquelle ils sont nés ; à la clarté des nuits, il les prend en flagrant délit de conspiration contre sa personne. L’astrologie est devenue entre ses mains un nouvel instrument de terreur, les étoiles une pièce de conviction. Il n’y a point sur terre assez de délateurs clairvoyants : les astres y suppléent.

Le Ciel ne pouvait pas moins faire en faveur du fils de Pallas ; pour échappera la crainte, à la mort, Domitien veut être dieu. Ce n’est point de sa part une folie, comme dans Caligula, c’est un calcul de sang-froid ; la divinité est pour lui un moyen de gouvernement, une sauvegarde de la tyrannie. La plupart de ses prédécesseurs avaient refusé le titre de maître, comme odieux aux Romains. Lui, ne veut point qu’on s’adresse à lui autrement qu’en se servant des noms de Seigneur et Dieu : Dominas et Deus.

Je regrette que Stace, l’improvisateur, et Martial, le fécond auteur d’épigrammes, aient ratifié le culte de cette nouvelle divinité. Stace félicite Domitien d’avoir relevé son temple sur le Capitole ; il n’y voit plus Jupiter, mais son empereur. Martial aime mieux adresser ses prières à ce fils terrestre de Minerve qu’au dieu de l’Olympe. « Je prie Jupiter, dit-il, pour César, et César pour moi. » Jupiter ne lui a-t-il pas dit « d’adresser ses demandes à celui qui lui élève des temples. » La poésie, je le sais, n’offre là à Domitien que le culte de son impiété. C’est encore un culte de trop. J’aime à voir que ceux qui avaient une conviction plus sérieuse lui aient refusé l’encens de leur philosophie ou de leur foi.

Domitien n’avait attaqué jusque-là les personnes que dans leurs affections, leurs biens, leur vie ; il se heurta tout à coup contre la conscience, l’âme, et c’est là que le dieu échoua. Philosophie stoïcienne et foi chrétienne se rencontraient alors dans une égale opposition contre les prétentions impériales. La philosophie stoïcienne descendait des sommets de la société aristocratique jusqu’à l’esclavage, la foi chrétienne montait des derniers rangs de la nation jusqu’aux palais ; jusqu’à la famille même des Césars. Le docteur le plus écouté de la philosophie stoïcienne, c’était alors l’esclave Épictète : « L’empereur nous accuse, disait Épictète, de professer la révolte et la désobéissance, est-ce que nous envions aux rois leurs palais et leurs richesses ! mais je veux, dit l’empereur, commander à vos pensées ! — Comment ? — Par la terreur. — Prends mon corps pour tes supplices, mon âme n’en est pas sujette. » Épictète ne reconnaît d’autre César que celui qui a envoyé Domitien comme un fléau sur la terre ; son immuable pensée est la seule vraie loi : « Si tu veux être obéi, dit encore Épictète à César, commande-nous les vertus qu’il faut suivre et les vices qu’il faut éviter ; mais de nous dire : Fais ceci, fais cela, ou je te tue ! ce n’est pas ainsi qu’on gou-