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LE PRÉSENT.

Toutes les provinces, d’abord bien administrées, de l’empire, en souffrirent, puisqu’une révolte, qui n’eut point d’autre cause, éclata jusque dans la peuplade reculée des Nasamons, sur la frontière méridionale de l’Égypte. Il n’y avait point assez de juifs au gré de Domitien pour grossir le trésor judaïque ; Domitien étendit l’impôt juif à tous ceux qui judaïsaient, qui avaient embrassé, comme il disait, la foi et les croyances juives, c’est-à-dire les chrétiens, que l’empereur, non plus que les Romains, ne savaient distinguer encore des Israélites. Ce fut la source de perquisitions indiscrètes, honteuses sur les personnes. Les chrétiens aimèrent souvent mieux donner à César ce qu’il demandait, pourvu qu’il ne réclamât rien de la part de Dieu.

Les héritages particuliers, la loi de majesté étaient deux sources de revenus bien plus considérables encore. Domitien déchaîna dans Rome et dans l’empire lesdélateurs, qui les firent abonder, avec des flots de sang par surcroît. Il ne manquait point de ces pourvoyeurs de l’avarice impériale ; depuis trop longtemps ils se plaignaient de rester inactifs, quoiqu’ils ne craignissent plus, au moins après Titus, le fouet de l’arène ou les amertumes de l’exil.

Il fallait à tout prix remplir le trésor de l’empire. Les biens des vivants et des morts furent bientôt saisis. Un homme riche avait-il bien parlé de César pendant sa vie, Domitien, bon gré, mal gré, devenait son héritier. Si un autre avait mal parlé de l’empereur ; il était bientôt accusé, condamné, etsesbiens confisqués revenaient à Domitien.

La peur s’empara bientôt avec raison de celui dont l’envie et l’avarice excitaient, soulevaient partout le mécontentement. Domitien n’attendit pas, pour l’éprouver, la conspiration d’Antonius, chef des légions du Rhin, sitôt comprimées. Depuis longtemps il avait pour principe que la défiance était la meilleure garantie d’un prince contre ses sujets. « Les empereurs, disait-il, sont bien malheureux ; on ne croit aux conspirations formées contre eux que lorsqu’ils en ont été victimes, » et, faisant allusion à son frère Titus, il estimait heureux plus que vertueux ceux qui, pendant leur règne, n’avaient pas trouvé l’occasion de punir. Il oubliait qu’une première clémence de Titus avait prévenu les conspirations ; tandis que la défiance de Domitien fait naître conspirations et conspirateurs.

Il n’est pas besoin d’un grand mérite pour exciter les soupçons de César ; le moindre accident, une superstition même, suffisent. Agricola, un autre Corbulon sous cet autre Néron, soumet une île tout entière, la Grande-Bretagne, à Rome. Domitien rappelle Agricola, le reçoit froidement quand il rentre de nuit dans Rome, et le rejette dans la foule de ses esclaves ; heureux encore celui-ci de s’y faire oublier ! Un héraut maladroit proclame un citoyen empereur au lieu de consul, le malheureux citoyen périt victime de cette bévue. Superstitieux, comme toute sa famille, Domitien est entouré d’astrologues. Toujours en peur de mourir, il ne se contente point de les interroger sans cesse sur sa vie,