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REVUE DES COURS PUBLICS.

père, Domitien, que Titus avait protégé contre les sévérités paternelles, délibéra quelque temps s’il ne disputerait point l’empire à son frère, en promettant aux soldats un double donativum. Il reuonça à ce projet, mais il ne se fit pas faute de répéter que son frère avait falsifié le testament paternel qui les avait institués tous deux héritiers du pouvoir. Il conspira contre Titus, quoique celui-ci le traitât en collègue, et l’eût déclaré son successeur.

Les premières années du règne de Domitien ne différèrent cependant point beaucoup du court règne de Titus. La mémoire de son frère fut d’abord un frein pour lui ; pendant quelque temps, il continua Titus. On les voit tous deux également pleins de libéralité, soucieux d’éviter le reproche d’avarice ; ils refusent à l’envi les héritages et les présents de la crainte plutôt que de l’amour. Si Titus confirme tous les dons et toutes les grâces accordés par ses prédécesseurs sans qu’on ait besoin de le demander, Domitien, remet les tributs arriérés de cinq années. Ils élèvent à qui mieux mieux des monuments et donnent des spectacles. Ils portent tous deux des lois contre les délateurs, ces corrupteurs du pouvoir et ces fléaux de l’empire.

Titus était affable et bon compagnon ; arrivé à l’empire, il quitta la mauvaise société qu’il fréquentait trop, s’entoura de lettrés, de poètes, de philosophes, de gens honnêtes et graves, qui furent, après Domitien, les conseillers des meilleurs empereurs.

Plein de morgue et d’une humeur farouche, n’aimant ni à être flatté ni à ne pas Hêtre, Domitien dispersa bientôt tout l’entourage de son frère, et ne le remplaça, autant qu’il était besoin, que par des serviteurs, des instruments qu’il tenait à distance, et brusquait le plus souvent. Il aimait à rester seul, caché au fond de ses appartements, n’ayant d’autre plaisir, même empereur, et âgé de plus de quarante ans, qu’à attraper et à tuer des mouches Un plaisant à qui on demandait où était l’empereur, répondait : « Il est seul, pas même une mouche avec lui ; » comme si l’empereur avait su inspirer de la crainte, même au plus indiscret et au plus intrépide des insectes. Domitien faisait son grand repas le matin, pour n’avoir pas faim le soir et ne point donner l’exemple aux convives qu’il était obligé de recevoir à la table impériale ; au milieu des mets servis à profusion, il se contentait d’une pomme et d’une coupe de vin, raillait, reprenait d’un air dédaigneux ses invités, se levait promptement de table, et s’en allait promener jusque bien avant dans la nuit, sous les longues galeries du palais, sa solitude chagrine, et bientôt ses sinistres projets.

Domitien dit, au commencement de son règne, que c’est encourager les délateurs que de ne les point réprimer ; mais lorsque le sénat lui demande un décret qui exige pour la mort d’un sénateur une sentence du sénat, il refuse. Il ne veut pas engager l’avenir, il tient à être juge dans sa cause. Titus brise sans retour