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LE PRÉSENT.

un peu pour la montre, ce me semble, et je serais plus volontiers de l’avis de M. Ampère qui fait de Titus un homme d’esprit qui n’aurait donné que des espérances.

Vespasien avait également soigné l’éducation littéraire de ses deux fils, il leur avait donné pour maîtres des rhéteurs et des poètes. Ces leçons profitèrent à Titus qui devint un habile orateur et sut, ce qui est plus difficile, trouver des mots heureux. Le mot de « J’ai perdu ma journée » est un de ceux-là. Il eut même la réputation d’un improvisateur fécond en vers. Domitien ne fut point dépourvu de ces talents, mais il les crut bientôt au-dessous de lui. Devenu empereur, il méprisa, humilia les rhéteurs et les poètes avant de détester les philosophes. Quoiqu’il fît rassembler à grands frais les manuscrits des anciens auteurs, il ne lut plus ni poésie ni histoire, si ce n’est les Mémoires de Tibère, lecture trop appropriée à son génie.

Les deux fils de Vespasien, tous deux princes de la jeunesse, se laissèrent entraîner de bonne heure aux écarts, aux dérèglements auxquels ne se dérobait guère la jeunesse romaine de ce temps ; mais Titus avait des vices inoffensifs, et les savait couvrir d’une grâce qui les faisait pardonner. La déesse à laquelle il sacrifiait le plus volontiers, était la Vénus de Paphos. Il aima Bérénice, sœur du second Agrippa, roi des Juifs, d’un attachement plus sincère qu’elle ne méritait ; et il sut faire au préjugé Tomain, qui n’eut point voulu pour impératrice de la fille d’une race méprisée, le sacrifice de son amour. Domitien adorait plus volontiers l’austère déesse Minerve, sans en être plus sage ; moins inoffensif seulement dans ses plaisirs, il ravit par deux fois l’objet de ses affections, Domitia à Elius Lamia pour en faire sa femme, et Julie, femme de Sabinus et fille de Titus, à son cousin pour en faire sa maîtresse. Titus était de ces hommes heureux qui savent même faire aimer leurs vices ; Domitien, de ces âmes mal nées qui ont le malheureux talent, lors même qu’elles possèdent quelques vertus, de les faire détester.

Avant d’arriver au pouvoir, Titus et Domitien tinrent à son égard une conduite bien différente, l’un sachant l’attendre et le défendant dans la personne de son père, l’autre le poursuivant d’une passion ardepte et prématurée, l’attaquant dans la personne de son frère. Envoyé par son père pour complimenter Vitellius, et destiné peut-être à être adopté par celui ci, Titus, à la nouvelle de la révolte qui éclatait contre cet empereur, se hâta de retourner vers son père et lui assura l’empire, en sachant lui gagner l’altier et ambitieux Mutien. Après la prise de Jérusalem, il se déroba à ses soldats, qui l’eussent volontiers fait empereur, pour aller rassurer son père déjà inquiet. Du vivant même de son père, et avant qu’il fût arrivé de Judée à Rome, Domitien, qui était dans la capitale, fit un si fiévreux et si violent usage du pouvoir, ôtant, donnant les offices à son gré, que Vespasien le remercia d’avoir bien voulu ne pas le destituer. À la mort de son