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LE PRÉSENT.

solent si fort. Mais ce serait folie de vouloir effacer, sans la permission de Dieu, tel ou tel jour de ta vie. Si nous étions moins ingrats, nous verrions aisément que, à tout âge, chaque fois que le soleil se lève, une joie nouvelle nous accueille, nous accompagne et nous console jusqu’à l’heure où nous nous endormons du sommeil dont on ne se réveille pas.

— Mon oncle, vos arguments sont inattaquables. Mais, franchement, n’avez-vous aucun regret ?

— Quels regrets ?

— Quand une jolie femme…

— Je les admire, les femmes, je les aime toujours, mais discrètement et sans le leur avouer ; je les vois se mouvoir dans une atmosphère sereine ; elles ne me troublent plus et elles me savent gré de mon respect…

Jadis c’était différent,
Souvenez vous-en, souvenez-vous-en.

— À la bonne heure ! vous redevenez gai.

— Je te ferais bien une petite confidence, mais…

— Parlez sans crainte.

— Tu sais, quelquefois je vais rendre visite à un de mes vieux amis, M. Bernard, à Meudon. Eh bien ! lorsqu’il m’arrive de manquer le dernier convoi et qu’il me faut revenir à pied, je me surprends à regretter mes jambes de vingt ans.

— Vous l’avouez donc ?

— Pourquoi pas ? Qu’est-ce que cela prouve contre moi ? Suis-je une exception à la loi commune ? Non, mais Dieu a béni ma vieillesse. La vie, comme l’année, se divise en saisons : l’une est fraîche et fleurie ; l’autre appartient au soleil et aux passions ; l’âge mûr, cet automne, nous apporte des fruits dont on se nourrit durant sa vieillesse. Vers la fin de novembre, le vent émonde les arbres feuille à feuille, jusqu’à ce que les branches dépouillées ne gênent plus pour voir l’azur du ciel. De même, chaque événement de notre vie souffle sur une de nos illusions qui se détache, et lorsque toutes sont tombées, nous apercevons mieux la vérité. Nous ne reverdissons pas comme les arbres, mais je me console par la pensée que mon âme est immortelle. Mes yeux ont