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LA PHILOSOPHIE DE MON ONCLE.

Puis, chaque jour amène sa joie, impossible hier, possible aujourd’hui, et proportionnée à nos forces et à notre saison. Pour se consoler, n’a-t-on pas l’amitié et l’étude ? Il en est des livres comme des amis : il en faut avoir peu, mais les meilleurs du monde. Je ne lis plus, je relis, je ne comprends rien à vos auteurs nouveaux. J’aime Molière et La Fontaine ; si, la nuit, je ne dors pas, je cause avec eux jusqu’à l’aurore.

— Je ne vous connaissais ni ces tendresses littéraires ni ces doux sentiments chrétiens.

— Mon cher, au seuil de la vieillesse, on ne laisse pas toute espérance. Écoute cette comparaison. Toi qui es gourmand, il t’est sans doute arrivé, en dégustant un verre de chambertin, de te reposer pour lécher tes lèvres et ta moustache avant d’avaler la dernière gorgée, que tu savoures lentement, comme si elle contenait toute l’essence et tout l’arôme du vin ? Cela peut t’aider à comprendre l’amour des vieillards pour la vie ; ils savourent les dernières gouttes de cette coupe que la mort brisera demain.

— Voilà de l’éloquence.

— On sait que nous devons partir bientôt, on nous rend agréables les jours qui nous restent, on nous reconduit poliment au bout de la vie ; et nous allons enterrer les jeunes de temps en temps. Eh ! eh ! cela fait toujours plaisir de vivre, quand on voit les autres mourir.

— Cette pensée me paraît…

— Juste, très-juste. Et que d’égards l’on nous témoigne ! On se range pour nous sur le trottoir ; en voiture, on nous offre la meilleure place ; à table, le meilleur morceau ; chacun se tait, si nous parlons, et nous écoute ; personne ne nous contredit ; partout on nous salue, on nous accueille, on nous fête… Que veux-tu de plus ?

— Vous me donneriez envie d’avoir des cheveux blancs.

— Absurdité, Octave !

— Mais, pour être logique…

— Il y a temps pour tout. Interroge les gens sensés qui ont passé la quarantaine ; pas un ne voudrait recommencer sa vie, ni une année, ni une heure peut-être. Chaque créature, contente ou non du billet qu’elle a pris à la loterie de la vie, n’échangerait son billet contre celui de qui que ce soit, et cela est si vrai que moi qui te parle, moi, ton vieil oncle Michel, je serais bien embarrassé de ces trente ans qui te dé-