ble et veiné, avec une pomme d’or ciselé. De mon temps, petit, on riait, on riait, et, quand on avait jeté son bonnet par-dessus les moulins, on ne s’inquiétait guère de courir après, dût-on y trouver au fond de quoi payer ses dettes. Tiens ! vous n’avez pas le sens commun, vous avez tous le diable au corps ; vous avez renié la folie sans y gagner un brin de sagesse : vous êtes rêveurs à vingt ans, pensifs à vingt-cinq, désenchantés à trente. Tant pis pour vous ! ce n’est pas ma faute.
Le discours de mon oncle menaçait d’être interminable ; je coupai court à sa tirade en lui offrant de la crème dans son thé.
— Merci ! me prends-tu pour une petite fille ? Un marin ! boire du lait ! Du rhum ! va donc, verse… as-tu peur de me griser ? Je suis solide comme un mât de beaupré.
— Cicéron prétend que les vieillards…
— C’est un sot, un impertinent, s’il a dit cela, interrompit mon oncle.
— Cicéron, au contraire, a fait l’éloge de la vieillesse, repris-je en riant.
— À la bonne heure ! je lui demande pardon de ma vivacité Octave, on nous croit à plaindre, nous vieillards ; mais, si nous tenons tant à la vie, c’est qu’elle nous semble bonne.
— Vous avez l’expérience.
— Chose inutile à tout le monde. L’expérience ne sert de rien à ceux qui ne l’ont pas, et ceux qui l’ont gagnée à la bataille de la vie ne savent plus qu’en faire. Un pantalon est-il bien nécessaire à un invalide quia deux jambes de bois ?
— Vous avez beau dire, on rencontre çà et là sur son chemin mille petites misères.
— Bah ! on passe à côté. Moi, ne suis-je pas heureux ? Que memanque-t-il ? Je me lève quand je veux, je me couche quand il me plaît, je vais où mon caprice me pousse, je m’appartiens, je m’aime. Je m’habille tout seul, je dors bien ; j’ai encore, malgré mes soixante-sept hivers, d’excellents yeux et je lis sans lunettes. Mon appétit est superbe, et mes vingt-neuf dents sont blanches.
— Que ne vous êtes-vous marié ! Vous étiez né pour les joies tranquilles du ménage.
— Perdre ma liberté, oh non ! Le seul moyen de rendre une femme heureuse, c’est de ne pas se marier. D’ailleurs, me marier, à quoi bon ? N’es-tu pas mon enfant, toi ? n’ai-je pas le plaisir de te prêter souvent