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LA PHILOSOPHIE DE MON ONCLE.

hommes les plus sages que j’aie connus, content de son avoir, de sa santé, ne courant jamais après des félicités chimériques et ne se fâchant pas qu’il fasse froid en hiver et chaud l’été. Dans la belle saison, il voyage ou s’enterre à la campagne ; dès que les dernières feuilles sont tombées, il revient à Paris, rallume son feu et se chauffe pendant cinq ou six mois.

Quand le thé fut préparé et versé, il vida silencieusement sa tasse, ferma ses yeux à moitié, se lécha les lèvres, sourit comme une dévote qui a reçu l’absolution et s’écria :

— Thé exquis ! l’achètes-tu en Chine ?

— Pas si loin ; rue de la Paix : je n’en connais point de pareil à Paris.

— Décidément, les Chinois sont des gens d’esprit. Sais-tu bien, Octave, que ce monde, dont de méchantes gens ont dit tant de mal, abonde en excellentes choses ? Moi, lorsque, dans de la porcelaine de Saxe, je bois à petits coups l’essence de cette petite feuille chinoise, cette douce liqueur qui ne cherche point querelle à ma santé, je me sens monter au cerveau de tièdes bouffées, et il me semble que je retrouve toutes les fêtes de ma jeunesse. Ah ! que de féeries dans une tasse de thé !

— Voulez-vous un cigare ?

— Fi donc ! à un marin ! Donne-moi une pipe, celle que t’ai rapportée du Caire.

Il bourra sa pipe à la façon flamande, par-dessus les bords, et prit, pour l’allumer, un charbon dans les cendres.

— Le tabac, dit-il en lançant une bouffée, n’est ni trop sec ni trop frais ; divin !

Le cher homme est, du matin au soir, satisfait de tout, et, si d’aventure une contrariété se rencontre sur son chemin, il raisonne de telle sorte qu’il se persuade que rien ne pouvait lui advenir de plus heureux. Nous gardâmes quelque temps le silence, par égard pour notre digestion. La figure de mon oncle, légèrement empourprée, était comme enveloppée d’une auréole de béatitude. Ses pieds traînaient nonchalamment dans la cendre chaude. Il s’était allongé dans le fauteuil, où reposait sa belle tête blanche, sereine et demi-souriante.

— Comme le vent jure ! fit-il. Sais-tu rien de plus doux que de voir tomber la neige et d’entendre les mugissements de l’hiver, lorsqu’on