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LA PHILOSOPHIE DE MON ONCLE.

— Comment t’y prends-tu, Octave, pour être triste comme cela ? Par curiosité, j’ai quelquefois essayé d’être malheureux, mais j’y ai perdu mon temps et je me suis résigné au bonheur.

— Vous, mon oncle, vous êtes né sous une bonne étoile.

— Tu crois ? Une nuit, en vue du cap de Bonne-Espérance que nous ne voyions pas, je t’assure, par une horrible houle du large, j’ai souffert pour toute ma vie.

— Mais le soleil s’est levé le lendemain et vos maux n’ont pas été de longue durée. Cela n’est rien, comparé aux tracas sans cesse renaissants qui vous assaillent du matin au soir.

— Une autre fois, tout mon équipage — et moi aussi, tu penses — est resté trois jours et trois nuits sans boire ni manger. Vos misères parisiennes sont à l’eau de rose à côté de pareilles tortures. Enfin, parlons d’autre chose. Allons ! mange donc. Vrai pré-salé, côtelette succulente et cuite à point. Mais ris un peu : une côtelette sans jus et sans gaieté, cela ne vaut rien. Ai-je l’air renfrogné, et ne te souviens-tu plus du temps où tu trouvais tant de plaisir à me voir, quand, tout petit, je te faisajs danser sur mon genou ?

— J’ai trente ans.

— La belle affaire ! j’en ai soixante-sept, moi, et j’en rends grâce au ciel.

— C’est bien différent.

— Ton bordeaux sent trop la violette. Ah çà, pour quelles raisons ton mariage est-il rompu ?

— Parce que les femmes sont…

— Femmes, interrompit mon oncle. Reste garçon. Je ne me suis point marié et je n’en suis pas mort. Vous allez voir tout à l’heure que je serai obligé de le consoler.

— Vous n’avez pas de souci, vous.

— Et pourquoi en aurais-je, je te prie ? Que veux-tu que j’en fasse ?

— Une femme me glisse des mains, je me désole ; quoi de plus naturel ?

— C’est là tout ?

— J’attends aussi des nouvelles pour ma place d’auditeur au conseil d’État, mais un vague pressentiment…

— On frappe, va ouvrir.

C’était une lettre timbrée du ministère.