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LA PHILOSOPHIE DE MON ONCLE.

comme son fils. Il change volontiers la gaudriole et les chansons à courte jupe, mais il ne va pas au delà de la grivoiserie, et sa gaieté charme sans étourdir. Du reste, il est vêtu comme tous les honnêtes gens, très-simplement ; il a soin de sa personne, il a des gants, se rase tous les jours, porte du linge neigeux de blancheur, et vous l’entendrez dire que c’est se respecter soi-même que de ne point négliger ce pauvre corps dont nous n’avons que l’usufruit. Sa grande coquetterie, c’est sa chevelure, qui est bien plantée, touffue et d’un blanc d’argent. En somme, c’est un vieillard qui vivra cent ans au moins et qui court le risque de mourir jeune. Quant à moi, je lui souhaite de longs jours, quoique je sois son héritier.

Il se débarrassa de son chapeau, de sa canne, de toute sa défroque d’hiver, et s’approcha de la cheminée avec un frisson de plaisir.

— Excellent feu ! dit-il en se frottant les mains. Octave, je déjeune ici.

— Soyez le bienvenu, mon cher oncle.

— Qu’as-tu à déjeuner ?

— Rien.

— Quatre côtelettes saignantes, une omelette aux rognons, un neufchâtel, deux bouteilles de bordeaux, c’est suffisant, n’est-ce pas ?

— Oui.

Je pris mon chapeau et je me dirigeai vers la porte.

— Où vas-tu ?

— Commander le menu.

— Tu vas t’enrhumer, mon pauvre enfant. Va vite, cours : j’ai une faim de loup.

— De mer ?

Je laissai rire mon oncle de mon bon mot et m’esquivai. Je fus de retour au bout de cinq minutes. Le bonhomme occupait tout le devant de la cheminée et se chauffait les pieds.

— Homme heureux ! me dit-il ; rien ne te manque.Dehors, un temps de Sibérie ; ici, tapis de mousse, canapé, rideaux épais, feu flambant.. Tu es très-heureux.

— Non, mon oncle.

— Comment, non !

— Je suis le plus infortuné des hommes.

— Tu plaisantes, sans doute ?