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LE PRÉSENT.

Par malheur, quoique seul en face de ma cheminée ardente, je n’avais pas le cœur à la rêverie, j’étais triste, maussade, voilà tout, et nul souvenir ne voltigeait dans le néant de mes pensées. C’est alors qu’on souhaite la visite d’un ami qui vous aide à sortir de cette torpeur stérile. Il est parfois agréable de s’éloigner de soi-même et d’oublier qu’on est au monde.

Enfin, vers dix heures du matin, on frappa à ma porte.

— Entrez ! dis-je négligemment sans quitter mon fauteuil ni retourner la tête.

J’entendis crier la clef dans la serrure.

— Hé ! le coquin ! fit une voix de basse que je reconnus, il ne se dérangera pas. C’est ton oncle, Octave, ton oncle lui-même, en chair et en os, et tout gelé encore. Quatre degrés au-dessous de zéro, chez Chevallier, et une bise qui vous coupe la figure. Cela me rappelle la mer et ses fredaines. Comment vas-tu, cher neveu ?

— Bonjour, mon oncle.

Nous nous embrassâmes comme un oncle et un neveu qui ne s’étaient pas vus depuis trois mois.

Mon oncle Michel est un vieillard de soixante-sept ans, vert comme un genêt, droit comme un peuplier, frais comme une rose et bon comme… un oncle. Sa raison est saine et élevée, son esprit fin, et ses qualités sont saupoudrées d’un égoïsme presque invisible. Il a été capitaine au long cours pendant près de vingt ans, il a beaucoup vu, beaucoup retenu, et il conte ses voyages et ses aventures avec une verve fort divertissante. Je crois retrouver en lui un de ces vieillards aimables du siècle dernier, qui voulaient vivre et mourir en souriant, indulgents pour eux-mêmes et pour les autres, et gardant dans leur cœur et sur leur visage une jeunesse à peine entamée par le temps dont ils se moquaient. Il est de la race de plus en plus rare de ces hommes qui savent pardonner aux jeunes gens les belles années qui les ont quittés ; si sages, qu’ils songent à peine à les regretter, aimant le plaisir et dignes, comme le vieil Anacréon, de mourir sous des roses.

Mon oncle Michel est resté garçon : ses courses lointaines et aventureuses sur l’Océan lui avaient interdit le mariage. Le jour où il pensa à devenir chef de famille, il s’aperçut qu’il touchait à la cinquantaine, et il préféra ne pas apporter un demi-siècle à sa femme pour cadeau de noce. Il prit bravement son parti et dès ce moment il me regarda