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LE PRÉSENT.

blique, ruinant ses actionnaires non moins que ses créanciers, et ne pouvant même se rendre compte de la disparition des sommes immenses versées dans ses caisses de 1742 à 1754.

Enfin, l’homme qui couronnait ainsi l’œuvre de Godeheu, et qui nous précipitait dans un abîme de honte, le général incapable, l’administrateur d’une probité au moins douteuse, d’une nullité politique sans égale, Lally, accusé de concussions, d’abus de pouvoir et de trahison par un cri unanime, obtint, dès son arrivée à Londres, de rentrer en France, et se constitua prisonnier à la Bastille. Après quatre ans de détention et de procédures, le Parlement de Paris rendit contre lui une sentence de mort. Il fut décapité, en place de Grève, à soixante-huit ans. Cette fin terrible a excité la pitié de ses contemporains. De nos jours, on qualifie volontiers d’acte inique le coup qui l’a frappé. Cependant, il faut opter entre la responsabilité humaine et l’enchaînement fatal des faits historiques. Tout ordre social n’est-il pas fondé, d’ailleurs, sur le dogme sanglant de l’expiation ? Si l’incapacité avérée de Lally atténuait ses irréparables erreurs, c’était aux directeurs de la Compagnie, aux Contrôleurs généraux, à Louis XV lui-même d’expier la ruine de cent familles et l’anéantissement de l’Inde française. S’ils étaient innocents, nul châtiment n’a été plus légitime et plus mérité que le sien ; si tels étaient les vrais traîtres, que le sang de ce malheureux retombe sur ses juges !

Leconte de Lisle.