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L’INDE FRANÇAISE.

dans l’intérieur du pays. Un conseil mixte décida que l’armée marcherait sur Madras, « attendu qu’il était préférable de mourir d’un coup de fusil sous les murs de cette place, que de faim à Pondichéry ». Une souscription coloniale donna un fonds de quatre-vingt-quatorze mille roupies. Or, les dépenses de l’armée, forte de deux mille sept cents soldats européens et de quatre mille Cipayes, étaient d’un million de livres par mois. On partit au commencement de novembre 1758. Les pluies étaient continuelles, les routes affreuses. L’artillerie, traînée par des bœufs sur un terrain effondré, s’embourba plusieurs fois. Il fallut deux semaines pour la dégager. Enfin, Lally franchit en un mois et demi les trente lieues qui séparent Madras de Pondichéry. Si le plan de Bussy eût été approuvé, dix à douze millions fussent rentrés des Cirkars, et une armée alliée nous eût frayé une voie facile. Mais alors, comme toujours, la prudence, le sang-froid et le sacrifice de sa vanité à la chose publique, étaient autant de vertus étrangères à Lally. Nature fougueuse, irréfléchie, pleine de contradictions, il mettait perpétuellement à la charge des pouvoirs civils de la colonie l’insuccès de ses opérations, oubliant, dans la sincérité de sa démence, qu’il entravait, par la succession rapide et fébrile de ses projets, cette même action administrative ; et, qu’en un mot, il abusait de son grade et de l’autorité sans bornes qui lui était confiée, pour créer l’anarchie là où l’unité de vues et la concorde étaient désormais d’une nécessité absolue.

L’armée campa le 12 décembre dans la plaine qui entoure Madras. Un fort et deux postes insuffisants en défendaient l’entrée. Le comte d’Estaing les emporta à la tête de trois cents grenadiers d’avant-garde. Toute la garnison anglaise se renferma dans la place. Le 14, au matin, le chevalier de Crillon pénétra avec un régiment au milieu de la Ville-Noire et s’y établit. Le gouverneur anglais, pour ne pas encombrer Madras, s’était opposé à ce que la population indigène mît en sûreté le contenu de ses bazars. Elle fut ainsi abandonnée à la merci de Lally. On fit pour quinze millions de pillage ; et, bien que le général en chef dût prétendre plus tard que dix mille habitants de Pondichéry avaient suivi l’armée pour prendre part au butin ; outre l’invraisemblance de cette assertion, toujours est-il que ni l’armée, officiers et soldats, ni la colonie ne s’enrichit au sac de la Ville-Noire, ainsi que les faits le devaient prouver sans réplique peu de temps après. Une