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L’INDE FRANÇAISE.

qui plus était, un des syndics de la Compagnie, il ne doutait pas que son expédition ne dût être beaucoup plus lucrative encore qu’honorable. Cette malheureuse conviction devait être une des causes de notre ruine et de la sienne. Violent et hautain, il s’aliéna dès son arrivée, la colonie entière. Contraint de s’informer tout d’abord de la situation générale, il affecta de ne pas écouter les renseignements qu’on lui donnait, et chargé officieusement en dernier lieu, par les directeurs de la Compagnie, de réformer quelques abus d’administration, il eut le tort impardonnable d’abuser de cette vague mission, au point d’exercer, sans enquête légale, sans formes de justice et sans droit acquis, une inquisition despotique sur les fortunes particulières. Il débutait très-mal pour finir déplorablement.

Bussy, qui, plus que tout autre, était destiné à subir l’hostilité jalouse du commandant en chef, avait été prémuni par une lettre écrite de France : « Vous verrez, monsieur, l’homme le plus extraordinaire qui ait passé dans l’Inde. Je vous sais trop patriote pour ne pas lui pardonner ses fougues, ses écarts et ses disparates. Vous éprouverez aussi ses emportements lorsqu’il s’agira de redresser ses idées souvent fausses. Je vous préviens que son grand faible est de vouloir tout faire par lui-même sans prendre l’avis de personne. Vous aurez beaucoup de peine à fixer son attention ; une bagatelle le distrait des choses sérieuses. Il croit être impénétrable ; gardez-vous donc de le deviner, il ne vous le pardonnerait point. Enfin, c’est le plus avare des hommes, et il s’imagine être assez fin pour convaincre ceux qui l’approchent de son désintéressement. » La suite de ce récit sera le meilleur commentaire de cette lettre.

Les opérations furent ouvertes par le siége du fort Saint-David, qui capitula presque aussitôt, le 4 juin 1758. On y trouva cent quatre-vingts pièces d’artillerie de tout calibre et six cent mille livres de marchandises. Lally songea dès lors à attaquer Madras, mais l’entreprise exigeait le concours de l’escadre, et le comte d’Aché le refusa obstinément, alléguant le manque de vivres et les maladies qui mettaient ses équipages hors d’état de tenir la mer. Allégations étranges, s’il en était, puisque tous les secours lui étaient offerts par Pondichéry, et que, d’autre part, ses motifs d’abstention, fondés sur l’état sanitaire de ses équipages, ne l’empêchèrent pas de mettre à la voile pour aller croiser au vent de Ceylan, ce qui ne tendait pas à nous faire rencontrer les