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L’INDE FRANÇAISE

III


Dupleix quitta Pondichéry, avec toute sa famille, le 14 octobre 1754. Il y avait trente-quatre ans qu’il était arrivé dans l’Inde, jeune, ardent, plein de hautes espérances, animé de nobles ambitions. Il retournait en Europe, blessé dans son génie et dans son patriotisme, au moment suprême où ses derniers efforts allaient couronner son œuvre, inachevée désormais et menaçant ruine. Soit fermeté stoïque, soit confiance inaltérable en l’avenir, il reçut avec tant de calme le coup inattendu qui le frappait, que son vil ennemi ne put user de violence. Il est avéré que, dans l’appréhension d’une résistance probable, Godeheu avait en mains l’autorisation, si ce n’est l’ordre précis, d’arrêter, comme accusé de haute trahison, cet homme qui donnait un empire à la France. On en trouve l’aveu dans son propre journal, à la date du 12 août 1754 : « Je sens mieux que jamais qu’un coup d’autorité aurait remédié à tout, mais j’ai les mains liées, parce qu’il ne se refuse à rien ouvertement, que je ne puis exiger de lui que ce qu’il fait paraître, et, qu’enfin, s’il existe des menées sourdes contre mes opérations, il m’est impossible de l’en convaincre. Si le ministre avait pu prévoir l’embarras dans lequel un ordre mitigé devait me jeter, je suis convaincu qu’il eût laissé subsister ses instructions antérieures. C’était me mettre en état d’agir avec fruit. » Cependant, le scandale d’une telle mesure eût amené un soulèvement général à Pondichéry. Le commissaire de la Compagnie put s’en convaincre à l’ovation spontanée que suscita le départ de Dupleix. Toute la ville, tout le corps d’administration, l’état-