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LE PRÉSENT.

l’art médical ne pouvaient plus le sauver. Dans le délire de la fièvre chaude, le pauvre Charlie exprimait sa crainte que le docteur du Musée des chirurgiens n’abrégeât ses jours. Par un revirement de sa pensée, peut-être par une raison secrète et qui semblait dominer toute autre préoccupation dans sa tête en feu, il se montrait réconcilié, rattaché à la vie par un lien tout-puissant.

Cependant le docteur était un honnête homme malgré la férocité implacable de sa manie : il avait prodigué consciencieusement à Charlie les soins les plus éclairés. Il ne voyait pas, sans une joie secrète, partir cette âme, hôtesse importune de ce corps convoité, mais en partant, cette âme suivait l’ordre de la nature et non pas l’impulsion d’une main criminelle.

Tout à coup le docteur pâlit. Il venait de se rappeler une formule de potion indienne dont un pauvre Malais, à son lit de mort, lui avait livré le secret. Cette potion pouvait sauver le géant… le docteur hésita.

— Si j’appelais un autre médecin, se disait-il ; il serait certainement impuissant à conjurer le mal. Je vais soigner lady Henriette, et envoyer ici le médecin de la commune.

Mais le docteur anglican, par un vigoureux retour de conscience, résista à cette tentation diabolique de l’Idée Fixe. Il prépara la potion.

Le petit Charlie guérit comme par enchantement.

— À présent, dit le docteur attristé devant ce miracle médical, ne mangez rien, absolument rien, pendant deux jours et je réponds de vous. Josuah, veillez à la stricte exécution de mon ordonnance.

— La nature m’a sauvé : ils veulent me faire périr de faim, se dit le pauvre ignorant irlandais.

La nuit, Charlie se traîna à l’armoire au pain. Le lendemain, à l’arrivée du docteur, le géant mourait d’une congestion foudroyante.

Du moins les cinq dernières minutes du pauvre Charlie semblèrent être cinq minutes de répit. Avant d’exhaler le dernier soupir, il eut un moment de calme extatique. Il se souleva à demi, tendit ses longs bras maigres, et regardant dans le vide, il murmura en souriant :

— Te voilà donc ! enfin tu n’as plus peur de moi !…

Et il retomba inanimé sur l’oreiller.

C’étaient les dernières et peut-être les premières minutes de bonheur que le pauvre homme eût eues en ce monde.