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LE PRÉSENT.

être sorti, ne pouvant régner sur toute la maison, ce fut une seconde. Un spectacle bien différent l’y attendait. La chambre moyen âge était en désarroi comme un vaisseau surpris par la tourmente : au beau milieu de la pièce, il y avait un bureau d’acajou, un bureau tambour, style empire, qu’on avait échoué là sans doute, n’ayant point eu le temps de le traîner ailleurs. Georges se mit tristement en devoir de visiter ses grands bahuts et ses dressoirs de chêne ; celui qui contenait ses livres était ouvert ; tout un rayon même en avait été bouleversé par des mains plus que profanes (il reconnut celles d’Anna, qui avaient toujours la fièvre), et des ouvrages entiers gisaient sur le parquet. Dans leur malheur commun, ces chefs-d’œuvre ennemis s’étaient embrassés malgré eux : les anciens s’étaient mis d’accord avec les modernes, au moins pour tomber ; on voyait étendus côte à côte des classiques et des feuilletonistes de l’an mil huit cent trente-cinq, des philosophes et des dramaturges, et Pascal reposait sans se plaindre sur Alexandre Dumas. Georges, la tête égarée, remit en place tant bien que mal la noble foule de ses amis : de l’œuvre de Balzac il manquait un volume. L’artiste se rappela tout à coup les questions impatientes qu’Arsène lui avait faites quelque temps auparavant à propos de l’un des plus beaux romans du grand écrivain.

— Ce volume, pensa-t-il, Anna l’aura pris ; Arsène le lit : pourquoi faire ?

En redescendant au salon, il trouva le bel Onfray debout, appuyé sans façon sur le dossier du fauteuil où s’était assise madame du Songeux, qui lisait à haute voix. Arsène écoutait, ce qui étonna d’abord l’artiste ; souvent même il lisait avidement par-dessus l’épaule de la châtelaine, et il avait ainsi dévoré chaque page deux fois au moins avant qu’elle l’eût terminée. — Anna lisait Honorine ! — Au bout d’une heure, elle se plaignit d’être lasse, se tut et sortit un instant.

— C’est le premier ouvrage de Balzac que tu rencontres ? demanda Georges ironiquement.

— Le premier, répondit Arsène avec un sourire assez dédaigneux. Oh ! ce n’est pas l’auteur que j’y cherche !

Georges passa la soirée tout entière avec sa sœur et son ami. Pourquoi demeurait-il là ? Madame du Songeux avait repris la lecture d’Honarine ; Arsène écoutait alors avec indifférence.