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LES IDÉES FIXES.

Leur ministre ne reconnaît pas l’édit de prohibition. Les feuillets de statistique sont tirés de la poussière des bibliothèques ; ils bourrent les canons et les fusils d’une armée de négociants économistes. Ha ! les Chinois ne veulent plus recevoir de poison ? holà ! qu’on brûle leurs ports ; que leurs jonques soient coulées et capturées ! Submergez, sabrez, fusillez ces Chinois insurgés contre les éléments les plus simples de la science moderne ! Ha ! ils ne veulent pas mourir de notre poison lent, eh bien qu’ils périssent sans retard par le fer, l’eau et le feu !

Devant ces arguments irrésistibles, l’empereur des mandarins lettrés dut, entre deux fléaux, choisir le moindre, et, ses excuses faites aux mandarins anglais, admettre de nouveau l’opium chez lui pour en éloigner la guerre. Des millions d’hommes sont empoisonnés : soit ! mais la Balance est rétablie. La justice est outragée : d’accord ! mais l’économie politique est satisfaite. « Périssent nos intérêts aux colonies plutôt qu’un principe d’humanité ! » disaient des hommes d’État français. « Périsse le monde plutôt que mon Idée Fixe ! » dit un ministre anglais… All right !

Reposons nos regards sur une manie plus innocente. Ce fabricant est un des fondateurs de la « Société de tempérance. » Le ginn et les boissons alcooliques ruinent la santé, la bourse et la moralité des classes laborieuses. Ce digne industriel impose à ses ouvriers l’abstention des liqueurs fortes. Il prêche d’exemple : il ne boit que de l’eau claire. Il voit, dans l’adoption générale de cette mesure, la rénovation des mœurs, l’amélioration de la race et l’extinction du paupérisme…. Ainsi soit-il ! Mais cet honnête homme est de son métier fabricant de rhum ; il en expédie tous les ans plusieurs milliers de tonnes au nouveau monde, et son « eau-de-feu » détruit les derniers successeurs de ces belles tribus qui florissaient jadis loin des poisons de la civilisation industrielle, au bord des grands fleuves, au sein des forêts vierges de l’Amérique du Nord.

Si les plaies sociales ne sont pas guéries par la « Société de tempérance, » voici un « Légumiste » qui se charge d’opérer la cure :