Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/40

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
28
LE PRÉSENT.

des grandes mailles de laine, et cherchait à se rendre compte de la forme du tricot : c’était une brassière d’enfant.

— Votre petit protégé aura bien chaud, dit-il en souriant.

— C’est pour un pauvre enfant du bourg, bientôt orphelin, répondit-elle.

— Pour un enfant du bourg ! pour le fils d’une femme de Laverdie ! pour ces misérables !… Ah ! madame !…

— Chut ! fit l’aïeule ; n’oubliez point que nous sommes chrétiennes.

— Et que ma mère a d’ailleurs tout le mérite de mes bonnes œuvres, continua Julie en riant aux éclats de l’admiration du jeune homme.

C’était la première fois qu’il la voyait rire franchement, comme on rit encore à son âge, lorsqu’on n’a contre soi ni le monde ni l’avenir. — Mais le rire de la pauvre enfant n’était né que d’un oubli de quelques secondes ; il fit un mal affreux à Georges, et ce fut avec des larmes dans les yeux qu’il lui dit, tout en saisissant la main de madame André :

— Je n’ose vous tendre aussi la main, madame… Ah ! je veux baiser celle de votre mère, et vous dire qu’il y a deux âmes à Laverdie… elles sont à la Maison-Grise… Que vous repoussiez ou non l’élan de la mienne, je veux être votre ami.

— J’accepte, dit Julie… Oh ! vous n’y croyez donc pas, vous ?

Elle se jeta dans les bras de sa mère, qui lui dit à l’oreille :

— Tu vois bien qu’on peut encore garder quelque estime pour nous.

— Et moi, monsieur, reprit madame André, je vous dis qu’il y a trois âmes au moins à Laverdie… Cher enfant ! vous demandez si je veux vous aimer ! Mais voyez donc combien vous avez rendu ma fille heureuse !

Ils se turent tous trois quelques instants. — Georges chassa résolûment de son cœur toute pensée jalouse.

M. Onfray va bien, très-bien ! dit-il avec effort… Il a fait une longue promenade aujourd’hui.

Julie, qui tenait toujours sa tête appuyée sur l’épaule de sa mère, la releva involontairement.

— Il sort ! s’écria-t-elle.

L’artiste jeta sur elle un regard si humble et si plein de prière,