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LE PRÉSENT.

la différence des habitudes et des usages les placent à mille lieues morales l’un de l’autre.

Veut-on voir quelques traits distinctifs des mœurs anglaises, rendus comme ils ont été pris, au hasard ?

Nos cochers se croisent de gauche à gauche sur la voie publique. Les « coachmen » se croisent de droite à droite, c’est-à-dire du côté du fouet.

Sur un bord de la Manche, un particulier est déconsidéré parce qu’il n’est pas un brave homme, autant qu’il le serait sur l’autre bord, s’il n’était pas un homme brave.

Un Anglais se reconnaît, à table, à l’habitude de manger les viandes pour ainsi dire sans pain. Le pain, pour lui, n’est guère qu’un supplément de linge à essuyer les lèvres, et, la première fois que des Frenchmen prennent leur repas en sa présence, il les regarde avec le même étonnement que s’il les voyait avaler leur serviette. Les pauvres seuls mangent du pain en quantité appréciable dans le Royaume-Uni, et la raison en est malheureusement très-facile à deviner. Leurs riches, qui vivent de « rosbeef, » ignorent tellement l’usage de la fleur de farine, qu’ils ont longtemps jugé inutile d’accorder l’entrée en franchise des blés étrangers. On dira peut-être que si les propriétaires s’opposaient au « free trade, » c’était par intérêt personnel, et pour maintenir à la hausse le prix de vente de leurs propres récoltes ; mais nous préférons croire, pour leur honneur et leur humanité, que cette résistance témoignait surtout de leur oubli de la nécessité du pain. S’ils ont fini par admettre le « free-trade, » c’était pour eux simple satisfaction d’amour-propre national. Ils voulaient accréditer ainsi dans l’opinion des civilisés du continent qu’eux aussi savaient manger du pain.