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CHRONIQUE.

inonde se lève quand il entre dans la salle en se tournant vers lui, et l’on applaudit à outrance. — Je me rappelle qu’à une certaine époque, on refusa M. Gaïffe au contrôle de je ne sais quel théâtre. Le feuilleton en masse, M. Janin en tête, alla frapper à la porte du directeur, on imposa le jeune journaliste. La critique a des droits sacrés ; c’est agir comme un imbécile et comme un manant de lui imposer un jugement sous peine de refus au contrôle. Le directeur de Saint-Quentin s’appelle M. Parisot. Le rédacteur en chef du Guetteur est M. Benjamin Gastineau, homme de lettres, ancien rédacteur de l’Ami du peuple à Auch, condamné politique de décembre, rentré en France depuis deux ans.

Le grand événement dramatique de la quinzaine est la représentation, au théâtre du Cirque, de l’Amiral de l’Escadre Bleue. Le talent de M. Paul Foucher m’est sympathique au dernier degré. J’aime l’élévation qui règne dans son théâtre, et il met une langue habile au service des pensées généreuses. Par cette raison même et pour rendre encore par mon silence hommage au talent de M. Paul Foucher, je ne parlerai pas de son drame aujourd’hui ; me réservant d’en faire pour la prochaine fois une étude sérieuse et approfondie. Je ne veux causer aujourd’hui que de choses légères. Allons du côté où l’on jette les joyeux couplets, où Frétillon, Lisette, Roger Bontemps, sa femme, madame Grégoire, tous les héros et les héroïnes de Béranger se sont donné rendez vous pour s’incarner à peu près tous dans Déjazet. Je l’ai trouvée plus légère, plus jeune et plus gaie que la dernière fois. L’idée, du reste, est bien heureuse, de la part de M. Clairville, et c’était bien à lui de conduire l’orchestre. M. Clairville est un Béranger manqué — Béranger un Clairville réussi.

Qu’y a-t-il encore ? Et ce pauvre M. Mouriez que j’allais oublier. Il « est mort sans souffrance, après avoir vécu sans peines ! Il avait la fortune et la notoriété, comme disait Planche. Il n’en faisait jamais qu’à sa tête. Son théâtre marchait comme sur des subventions. On l’a enterré l’autre jour, et M. Dormeuil, ce vétéran de la grande armée, un gaillard presque aussi heureux que lui, a prononcé un discours sur sa tombe, — quelques paroles bien senties. — Une autre personne a encore laissé tomber des phrases sur le cercueil du père Mouriez. — Le journal dit : — Discours de M. Rochefort prononcé par M. Manuel. — Si M. Rochefort est infirme, trop vieux ou malade, je le plains et je lui pardonne. Mais s’il est aussi bien portant que vous et moi, qu’est venu faire Manuel ? Est-ce l’organe qui est mauvais chez M. Rochefort, — est-ce le geste qui est superbe chez Manuel ? Quand on fait un discours, on le prononce soi-même ; on ne le fait pas lire par d’autres. M. Manuel est-il un préposé aux oraisons funèbres, une espèce de pleureuse antique ? Si c’est tout bonnement un ami du défunt, comme je le suppose, pourquoi emprunter sa prose à M. Rochefort. Elle peut passer, j’en conviens, mais cette façon d’exprimer ses regrets en marmotant les paroles d’un autre me paraît vraiment si étrange ! M. Rochefort qui fabrique la douleur, et M. Manuel qui la débite !