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CHRONIQUE.

chiens aboyaient avec colère, les piqueurs juraient, les chevaux bondissaient sous l’étreinte nerveuse des cavaliers et des écuyères. Les couteaux de chasse luisaient au soleil, les paysans criaient : Vive la comtesse ! et moi, j’avais la fièvre, mon pouls battait, mon cœur faisait le tapage dans ma poitrine, et j’attendais, plein d’angoisses, qu’on m’amenât un grand diable de cheval blanc dont on disait un mal affreux dans le pays.

— Vous êtes bon écuyer ! m’avait-elle dit en me montrant la bête. Vous me suivrez ! ajouta-t-elle en donnant méchamment à sa voix une inflexion plus tendre.

Malheureux ! je n’avais jamais monté un bidet, et l’âne le plus bète se serait aperçu qu’il avait affaire à un maladroit. Croyez-vous que d’un bond je fus sur le cheval blanc et d’une main hardie je rassemblai les rênes ? Mon prix de gymnastique m’avait servi.

Bravo ! fit le piqueur émerveillé de mon audace.

L’animal sortit tranquillement de la cour et alla se frotter tout joyeux contre le ventre de ses camarades. La châtelaine était déjà partie. Sur la proposition belliqueuse d’une de ses amies, on avait lancé les chevaux au galop, et je les vis se perdre au détour de la route dans des flots de poussière. Bientôt, du reste, tout le monde imita son exemple, et les chasseurs donnèrent de l’éperon.

— Vous ne venez pas ? me dit en se retournant l’homme de lettres, qui ne me paraissait guère plus sûr que moi de son affaire. Il avait l’air d’un grand compas sur son petit cheval breton. — Que faites-vous là ? ajouta-t-il en mettant la bète au trot.

— Je le domine, répondis-je d’une voix ferme. La vérité était que je mourais de peur. La croupe était bien mobile.

— Ah ! c’est un animal dangereux. Vous nous rejoindrez au grand chêne.

— J’y serai avant vous ! Laissez-moi le màter un peu.

J’y serai avant vous ! Que je disais vrai ! À peine avais-je fini de parler, ce coquin de cheval fait un bond, prend sa course, et nous voilà courant comme le cavalier de Bürger, vite comme le vent, cassant les branches sur le passage, brisant les pierres, et l’homme de lettres me criait de loin : « Attendez-moi donc ! »

Ce fut pendant un quart d’heure une série d’émotions terribles. Les arbres s’enfuyaient, on sautait les fossés, on crevait les haies : le brigand prenait le plus court ! Tout d’un coup, au détour d’un champ, je me sens pressé, écrasé, enlevé ; il venait de donner dans la troupe des écuyères. Ma position était, il est vrai, si dangereuse, que toutes les femmes poussèrent un cri d’effroi et firent reculer leurs chevaux. Je n’avais pas été trop à mon aise ; mais je n’avais pas eu peur, je le jure. À seize ans, croit-on au danger, et se figure-t-on qu’on peut mourir ? J’avais peur seulement du ridicule. Je retrouvai un peu de mon sangfroid en me voyant jeté dans le groupe des dames, que dominait de sa haute taille la fière châtelaine. Elle seule n’avait pas bougé. Il me restait une ressource.