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CHRONIQUE.

cinq cents exemplaires ; car, qu’on le sache bien ! la barbe du sapeur, comme la peau de l’écureuil, est rouge en venant au monde. Celles que vous voyez noires, qui font tache sur le tablier blanc, sont des abîmes d’hypocrisie : la teinture, comme un orage, en a noirci les flots ! — C’est par ordre du colonel.

Mais je reviens à mon fusil, à la campagne et à la chasse.

J’ai bien battu les taillis de Bretagne, j’ai fatigué bien des chiens, j’ai dépensé beaucoup de poudre, bu dans les fermes plus d’un verre de cidre, et mangé du lard fumant sur du pain bis. M’amusais-je vraiment ? La chasse était-elle pour moi un plaisir ? Je n’oserais l’affirmer, et je crains bien de m’être trompé, d’avoir menti à moi-même pendant cinq ans au moins, ce qui arriva, hélas ! souvent. Il est convenu, entendu, décidé que c’est une noble chose de courir à travers champs, son fusil sur l’épaule, de laisser la maison où sont les livres des poètes et les romans baignés d’amour. Au lieu de rester bien tranquille, au coin de l’âtre, rêvant à ses amours passés et méditant la gloire du lendemain, on se fait réveiller la nuit. On part dans la boue ou la neige, et l’on fait ses cinq lieues pour arriver au pays des lièvres. Que de haies à franchir, que de bourbiers où l’on enfonce, que de buissons que l’on déchire ! Tout n’est pas roses dans la vie ; mais qui diable nous pousse à battre les chemins fangeux, à patauger au bord des mares, à piétiner tristement dans la neige ? Et la branche qui casse quand vous allez sauter par-dessus le ruisseau ! et les paysans qui se fâchent ! le ululatus des chiens qui ne veulent pas qu’on approche de la chaumière, vieux grognards fidèles à leur poste ! Quoi donc encore ? La pluie qui arrive, et vous trempe de la tête aux pieds ; à peine vous pouvez lever les jambes et faire votre route. La terre, humide comme une mère en larmes, s’attache à vous ! Ah ! je préfère encore la pêche, cette bonne pêche à la ligne, quand, assis doucement au pied d’un arbre au grand feuillage, on tient d’une main un livre, une lettre d’amour, le manuscrit d’un drame, et de l’autre sa gaule ! Oh ! le poisson se rit de moi ! À peine a-t-il touché l’hameçon et le ver est perdu : ce Jonas de bas étage est déjà dans le ventre du goujon moqueur, et jamais il n’en sortira ! Les miracles sont pour toujours tombés dans l’eau. Mais c’est parfois le long de la rivière une bande de jeunes filles, les demoiselles du village qui courent après les demoiselles du bon Dieu, bavardes et joyeuses, tout étonnées de vous trouver là pêchant à l’ombre. Elles poussent un petit cri comme l’oiseau qui s’envole, vous tournez la tête, vous saluez, et voilà que vous reconnaissez, grande et superbe, la petite fille avec laquelle vous avez fait l’école buissonnière dix ans avant ; vous étiez alors son petit mari. Aujourd’hui on est fière, on vous dit vous en baissant les yeux, et vous n’avez pas même le droit de baiser la main blanche qui vous égratignait si bien quand vous ne faisiez pas toutes les volontés de ces dames. Jusqu’à treize ans, elles veulent qu’on les appelle des dames, — puis elles deviennent des demoiselles, — puis des femmes ! Alors on les épouse, et quand vous allez à la pêche, elles apiællent leur