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CHRONIQUE.

Adieu paniers ! vendanges sont faites ! on a coupé les raisins d’or, entassé les grappes mûres dans les bénes d’osier, la cuve s’est trouvée pleine, et le vin a jailli ! J’ai toujours voulu voir les vendanges ; tout jeune, c’était mon rêve ! Partir de grand matin avec la famille, arriver en bande à la vigne, et là, sous le soleil, pendant dix heures, travailler des dents et des mains, en compagnie des petites voisines, de grandes coquettes qui savaient bien être jolies sous leur large chapeau de paille, et qui s’amusaient, les démons, à barbouiller du jus des grappes la figure de leurs compagnons de douze ans ! Jamais ni Dieu, ni le proviseur ne me permirent d’assister à la fête. J’étais ou privé de sortie, ou retenu à la maison par des hasards malheureux, et ces demoiselles s’en allaient sans moi dans la carriole qui les portait à deux lieues de la ville, sur les bords frais de la rivière, au pied des coteaux joyeux ! Depuis, j’ai eu bien du temps à moi, et j’ai su prendre des vacances. Pourtant, je suis encore à désirer la visite à ta vigne, et je n’ai pas fait les vendanges ! Qui donc m’a empêché ? Pourquoi n’avoir pas pris mon courage à deux mains, et fait la route qui conduit vers le doux pays de Bourgogne ? Les amis m’ont écrit ! Je n’ai pas même eu le temps de répondre, et ils m’ont cru malade ou mort. Je n’étais point malade : j’avais les fièvres, ces fièvres de la rue du Bac, qui ne vous quittent pas et vous clouent, brûlant et inquiet, plein d’ardeur et d’agitation, sur le sol boueux de la grand’ville. C’était une femme qu’on croyait aimer, une comédie qu’on devait finir, un journal qu’on allait fonder, toujours un prétexte, toujours des raisons mauvaises pour rester encore, et l’on ne partait jamais ! L’hiver venait bien vite, et les vendanges étaient finies !

Je ne sais donc pas si les poètes ont menti, si mes amis, plus heureux que moi, m’ont trompé, et si c’est une fête bien heureuse et bien belle que la fête d’automne, quand on enlève aux ceps leur couronne à grains d’or, et que la bande des vendangeurs boit en chantant le sang rouge de la terre. Qu’il doit être joyeux pour-