de lui à l’extrémité du cercle d’ombres que projetait la cépée ; les rayons du soleil jouant à travers les feuilles déliées des frênes arrivaient sur sa tête nue, et la chaleur avait amené sur son visage une coloration vivante et fine qu’Arsène n’y avait jamais vue, car elle était ou trop rouge d’ordinaire ou blanche comme du lait… Si le regard obstiné du jeune homme ne la troublait pas, il l’étonnait du moins. Elle affecta de baisser les yeux sur sa robe du matin qui était de toile perse ; elle ne portait avec cela qu’une mante de soie.
— Me trouvez-vous donc bien mal ainsi ? dit-elle.
Il se mit à rire malgré lui en souvenir de la robe rose à ramages.
— Je n’aime que les toilettes les plus simples, dit-il avec assez d’impertinence ; il faut laisser les robes voyantes et les rubans aux filles de théâtre, et les galons de toute sorte aux officiers de hussards.
Huit jours auparavant Anna se serait grièvement offensée, elle se mordit seulement les lèvres. De retour à la maison elle monta chez elle en courant, elle saisit toutes ses robes, et, d’une main impitoyable, elle en arracha jusqu’à la moindre bouffette. Elle ensevelit les plus brillantes au fond d’une armoire ; la robe à ramages verts eut un coffre à bois pour tombeau, et, l’heure arrivant de faire une seconde toilette, la châtelaine revêtit en toute hâte une sorte de fourreau brun avec un simple fichu blanc qui lui donnait l’air d’une abbesse de carmélites. Lorsqu’Arsène la revit, il la remercia par un sourire ambigu à moitié triste, à moitié railleur.
— On vous a gâté, lui dit-elle d’un ton sec.
Il s’aperçut de son dépit, et, comme toujours, il voulut l’apaiser.
— Il est encore plus difficile, osa-t-elle lui dire, de plaire à vos yeux et de flatter votre goût que de dominer votre cœur.
Elle pensait justement le contraire. Les caractères violents, les tempéraments extrêmes s’abusent aisément ; il n’y a que les âmes placides ou même indifférentes qui voient clair autour d’elles dans la vie. Le cœur irrésolu d’Arsène, Anna croyait déjà le posséder si bien qu’elle voulut l’éprouver. — C’était quelques jours après la scène de la charmille, par un frais soleil de mai : la châtelaine proposa une plus longue promenade à son cher convalescent. Ils sortirent tous deux par la première cour : le vent y berçait doucement, sur la grande pelouse en fleur, des flots de boutons d’or et de pâquerettes. À l’entour, les grappes des lilas tombant jaunies et desséchées exhalaient encore un der-
