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LE PRÉSENT.

leurs tribulations, Faute d’avoir poursuivi un but utile et de s’être respectée elle-même. Cependant chez cette personne « séduisante, « mélange de mollesse féminine et de virile énergie » (ainsi la définit M. Cousin), on ne saurait méconnaître bien des qualités supérieures, une fermeté de coup d’œil peu commune, de la loyauté, de la décision, un jugement des plus sûrs, quand la passion ne l’aveuglait pas. Elle sut notamment, par Félévation de son caractère, et malgré ses torts de conduite, réagir contre la mauvaise fortune, et, sans plier devant ceux qui faisaient fléchir les premiers de l’État, les forcer à rechercher son alliance ou à craindre son hostilité. C’était une de ces femmes capables de fautes et même de mimes, à la façon de l’Émilie de Corneille, mais incapables de bassesses, en qui se personnifiait l’état de notre aristocratie, pleine d’énergie et de fierté, mais encore imprégnée dans ses mœurs de quelque rouille du moyen âge. À cette société d’une élégance et d’un éclat incomparables manquait encore, avec le patriotisme, un certain degré de délicatesse et l’humanité, qui ne devait naître pour elle que de l’expérience du malheur[1].

Madame de Chevreuse fut donc vaincue, elle ne fut pas abaissée. Outre son esprit plein de ressort, ce qui contribuait à la recommander dans le monde d’élite où elle vécut, c’était le goût délicat des élégances de la vie, un amour éclairé des arts qui est demeuré dans sa maison et qui honore ses descendants, dont la grande fortune reçoit une application aussi utile qu’honorable. Cette fortune, qui avait été compromise par les folies du duc de Chevreuse, fut rétablie et consolidée par les soins de la duchesse, on doit le rappeler à son éloge. Ralliée à la royauté, elle ne dédaigna pas dans ce but, et pour se fortifier d’un puissant auxiliaire, de faire épouser à son petit-fils la fille d’un des domestiques de Mazarin (ainsi parlait-on, à cette époque). Il est vrai que ce domestique était a un bourgeois de génie, le plus grand administrateur qu’ait eu la France : » c’était Colbert.

L’humilité fut, du reste, la vertu de ses dernières années, qu’elle passa dans le calme, à la faveur de ce profond repos intérieur qui avait succédé à tant d’orages. C’était, on l’a vu, un privilège heureux de ce temps aux fortes croyances, qu’on revînt au port de la foi, abjurer ses égarements et bien mourir. Tel fut le

  1. Gênés dans leur ambition par Mazarin, on voit madame de Chevreuse et le petit-fils de Henri IV, le duc de Beaufort, ne songer à rien moins qu’à le faire attaquer de vive force et mettre à mort. Leurs amis n’hésitent pas à s’associer ce projet. Qu’on s’étonne et qu’on s’indigne après cela des échafauds de Richelieu ! — Reconnaissons encore que, sous de beaux dehors, cette société cachait aussi bien d’autres misères. Quelle âpreté des intérêts comme des amours-propres ! Quelle vénalité, même dans les conditions les plus hautes ! Beaucoup de seigneurs et de nobles dames, des chefs même de l’Église, ne dédaignaient pas de tout voir et de tout entendre pour le compte de Richelieu et de Mazarin. Grâce à cette police choisie autant que dévouée, jamais ministres ne furent mieux informés et mieux servis.