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LE PRÉSENT.

chelieu. Les négociations, qu’elle conduisit avec une singulière habileté, allaient lui permettre de reprendre possession de son rang dans sa patrie, lorsque les appréhensions les plus graves qui lui furent inspirées de différents côtés l’empêchèrent de se livrer à la foi du cardinal.

Dès ce moment, elle demeura l’ennemie déclarée du premier ministre, le menaçant dans sa toute-puissance, comme de Retz menaça plus tard Mazarin de ses intrépides regards. Pour se venger elle-même et pour venger la reine Anne d’Autriche opprimée, dont la personne et les intérêts lui avaient toujours été chers, elle ne cessa de créer à Richelieu des obstacles, de fomenter les troubles èt les conspirations qui l’attaquaient, de servir de lien contre lui entre l’Angleterre, l’Espagne, la Lorraine et les mécontents de l’intérieur. Aussi Louis XIII, qui avait appris de son ministre à la redouter, l’appelait-il le Diable ; et, par un dernier arrêt de proscription, il lui interdit dans son testament l’entrée de la France.

Mais, on ne l’ignore pas, l’obéissance aux ordres des rois leur survit rarement. Louis XIII mort, la duchesse de Chevreuse qûitta Bruxelles, où elle résidait en juin 1643, et reparut à la cour, pleine d’ambitieuses espérances pour elle et ses amis, dans la pensée que l’éloignement n’aurait pas affaibli son crédit sur Anne d’Autriche. Toutefois, en face d’elle, il y avait déjà un rival d’influence, Mazarin, dont elle fut bientôt l’ennemie.

Jamais époque, il faut l’avouer, ne fut plus critique pour la grandeur de la France que la régence de cette princesse. Après tant de luttes et de sang répandu, cetce œuvre salutaire de gouvernement qui préludait à l’égalité moderne, cette politique sage et nationale, inaugurée depuis cinquante ans, subsisterait-elle ? Il semblait d’abord permis d’en douter. Et cependant le règne de Louis XIV était à ce prix. Mazarin, pour l’avantage du pays, continua l’œuvre de Henri IV et de Richelieu. Néanmoins, il ne pouvait réussir à dominer que par des moyens bien différents de ceux de son prédécesseur ; et, en effet, il se trouva « sur la tête de tout le monde dans le temps que tout le monde croyait l’avoir encore à ses côtés[1]. » Mais quand on s’aperçut, qu’avec sa circonspection et sa réserve apparentes, il poursuivait en réalité très-fermement les traditions du dernier règne, les ambitions déçues, les intérêts frustrés conspirèrent sa perte, sans même reculer devant le crime. Embûches cachées, agressions ouvertes, tout devait échouer contre la conduite habile du cardinal, soutenue d’une affection aussi décidée que fidèle.

Qu’un parti qui ne parut jamais capable que de prétentions et de troubles ait succombé, nous n’en serons pas surpris. Le succès devait appartenir à l’esprit de sagesse et de suite. Or, malgré quelques beaux dehors de dévouement chevale-

  1. Mémoires du cardinal de Retz. C’est aussi un excellent morceau d’histoire que celui où M. Cousin montre avec quelle adresse Mazarin prit possession du pouvoir et surtout quel art infini il déploya pour se rendre maître des volontés de la reine, qu’il enchaîna à sa fortune.