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LE PRÉSENT.

vait disposer à son gré de la place qu’il assiégeait, se hâta d’accorder à l’ennemi une capitulation directement opposée à nos intérêts les plus immédiats. Il promit de rendre Madras aux Anglais, en retour onze cent mille pagodes, neuf millions de livres de rançon, somme payable à termes éloignés, tant dans l’Inde qu’en Europe. Pouvait-il ignorer que la Compagnie anglaise refuserait de ratifier un tel engagement conclu sous la pression de la force ? En dernier lieu, la reddition pure et simple de Madras garantissait à Pondichéry des avantages bien autrement important que le paiement même régulier de cette rançon. Outre l’intérêt vital qu’avait l’Inde française à l’annexion d’un comptoir rival, les richesses effectives de notre prise l’emportaient à tous égards immensément au delà de neuf millions de livres. Rien n’ébranla la résolution de La Bourdonnais, ni les prières du conseil supérieur de Pondichéry, ni les instances réitérées de Dupleix. Il répondit invariablement qu’il avait pris Madras et qu’il en disposerait en maître. « D’ailleurs, ajoutait-il, j’ai donné ma parole : elle est inviolable. » Il entra dans la place après s’être engagé à la quitter dans quinze jours.

Dupleix dut enfin briser cette aveugle opiniâtreté. Les efforts de la persuasion avaient été vains ; les voies de l’autorité restaient seules à prendre. Dulaurens, Barthélémy, d’Esprémesnil, Bruyère et Paradis, conseillers de Pondichéry, vinrent signifier les pouvoirs du commandant général des établissements français. Une scène violente s’ensuivit dans la grand’salle du gouvernement de Madras. Paradis, ingénieur habile, homme d’une grande bravoure, mais d’une vivacité égale, chargé par ses collègues de porter la parole, interpella La Bourdonnais avec tant de roideur, que celui-ci, transporté de colère et tirant son épée, cria aux officiels de l’Île-de-France et de Bourbon, qui l’entouraient : « À moi, messieurs ! » Le gouverneur et les conseillers anglais qui assistaient à cette scène déplorable, purent croire un instant que leurs vainqueurs allaient s’égorger. Paradis, au milieu du tumulte, ordonna au greffier de lire la protestation du conseil qui cassait et annulait le traité de rançon, puis les lettres qui constituaient à Madras un conseil provincial, et enfin la commission de commandant de place donnée à d’Esprémesnil. La Bourdonnais se contint et parut vouloir réfléchir ; mais, dans l’instant même, il ordonna secrètement de faire embarquer les troupes de Pondichéry, dont il était peu sûr.

C’était les envoyer à une mort inutile. La mousson surprit l’escadre.