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LE SPHYNX.
V

La semaine suivante, Arsène quitta la chambre. Malgré les malignes prédictions de son ami, il n’avait rien perdu de sa froide et molle beauté. Ses traits étaient à peine déprimés par la souffrance, ses yeux seulement gardaient un étrange éclat qui ne leur était point ordinaire, et qui témoignaient en lui de la présence d’une pensée qu’il voulait tenir secrète, car il cherchait à voiler son regard et, le plus souvent, sous prétexte de fatigue, il se taisait. Cette pensée active, inquiète, qui jaillissait en lui comme de la sève nouvelle, madame du Songeux l’épiait sans cesse et croyait parfois l’avoir pénétrée. Ce cœur sec et violent avait fait bien du chemin depuis quelques jours et, dans son impatience, il ne trouvait point en avoir fait assez. Bien sûre d’aimer, à sa façon du moins, la châtelaine ne s’arrêta pas un seul instant à supposer qu’elle pourrait n’être pas payée de retour, ear enfin elle était madame du Songeux, et trente mille livres de rente sont toujours aimées en Normandie ; cette assurance d’ailleurs n’avait rien de présomptueux ; il y avait si peu de chance pour qu’elle fût trompée.

Certes, l’amour de la châtelaine ne ressemblait en rien aux amours ordinaires. L’impatience en faisait le fond. Et cependant il n’est pas d’amour qui puisse se fonder absolument sur un calcul, qui n’ait ses heures d’abandon même involontaire et qui ne donne alors quelques impressions naïves et vraies. — Anna en avait peu ressenti de semblables, mais enfin elle en avait ressenti. — C’est ainsi qu’elle-même elle était surprise de ces soumissions sans horne auxquelles elle se