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LE SPHYNX.

plus d’un an qu’Arsène était devenu l’époux heureux ou malheureux d’Anna.


Georges et Julie se marièrent à la paroisse des Rosières, dans la petite église au milieu du bois. On avait eu quelques difficultés à trouver des témoins, mais M. de Brennes s’en chargea. Quelques bonnes gens qui passèrent pendant la cérémonie prirent madame André pour l’épousée, tant la vieille dame montrait de joie. Julie, au contraire, était sérieuse, elle croyait n’accomplir qu’un devoir. Elle ne doutait pas cependant que ce devoir ne lui fût toujours léger, mais à cette heure solennelle, la pauvre enfant ne se sentait point de flamme au cœur. Georges ramena sa femme aux Rosières.

Julie commença par jeter sur toutes choses un regard empreint d’une curiosité bien émue, car elle se rappelait que Georges n’avait quitté sa sœur et n’était venu dans ce domaine que pour avoir commis la faute de l’aimer. Elle se mit à faire le tour du jardin et ensuite elle entra dans la maison, où elle s’égara presque. Georges, d’en bas, l’appelait : comme elle cherchait une issue pour aller à lui, elle ouvrit au hasard, tout près de l’appartement du jeune homme, une petite porte assez bien masquée ; la surprise la fit s’arrêter sur le seuil. Etait-ce une illusion ? elle croyait reconnaître sa chambre d’autrefois ! C’était bien son petit lit blanc et bleu, son tapis à rosaces noires, sa table à ouvrage, auprès de laquelle elle avait si souvent pleuré, sa chaise longue, les coussins qu’elle avait brodés, et ces mille riens qu’elle collectionnait avec la gravité d’un savant de muséum, tout enfin, jusqu’à ses livres… Elle avait toujours oublié de demander à Georges ce qu’il avait fait de ses meubles qu’elle aimait tant, après la démolition de la Maison Mortuaire. Ah ! ces restes cruels pourtant d’une première vie alors renouvelée ne l’attristèrent plus. L’amour de Georges, qui rayonnait comme un jeune soleil, en transformait le souvenir, et ce doux rayonnement inonda soudain le cœur de Julie. Quand elle revit son mari qui l’attendait, à côté de sa mère, elle se jeta d’elle-même dans ses bras.

— Ah ! dit-elle, je n’habiterai pas cette chambre !

— Non, répondit Georges, mais nous y entrerons quelquefois.

— Jamais ensemble ! reprit-elle.