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LE PRÉSENT.

de m’aimer, puisque je n’ai pas su me défendre contre le plus faible et le moins digne d’entre tous. »

— Quand ma mère ne sera plus, disait-elle à Georges, si je lui survis, je veux entrer dans l’ordre de Saint-Vincent de Paul. — Ces saintes filles ont à soigner des douleurs dont le spectacle apaisera la mienne.

Georges souffrait plus qu’elle peut-être, — mais il lui répondait : Espérez. — C’était qu’il espérait lui-même. Ce poëte savait bien qu’il est de certaines âmes où la jeunesse est immortelle, et il en attendait le réveil dans celle de Julie. La jeune femme était déjà si changée qu’elle put enfin pardonner à Arsène et cesser de parler de lui. Mais il n’y avait que la moitié du miracle de fait en elle, et madame André disait : Ce n’est point encore ma fille. — Julie, en effet, toujours inquiète, ne reprenait ni sa naïve liberté d’esprit, ni cette grâce rapide qui était sa façon de vivre. Ce sentiment singulier de honte, que le passé lui inspirait, résistait au temps, aux efforts de la vieille dame et aux douces railleries de Georges lui-même. — Et cependant Julie avait foi dans l’amitié du jeune homme, comme dans l’amour de sa mère : mais, sur ce pointlà, elle ne l’entendait et ne Je croyait pas.

Que n’aurait-il point donné cependant pour détruire en elle ce vague remords qui était comme la dernière ombre d’un amour détesté ! — À mesure qu’il la voyait se rattacher à la vie, lui se rattachait doucement à ses rêves : son mal faisait plus de progrès cent fois que la guérison de la jeune femme, et les combats qu’il se livrait épuisaient sa raison. Elle ne remarqua point d’abord qu’il souffrait, elle était si loin de l’amour ! — Un jour, enfin, il lui dit qu’il allait partir.—Elle ne l’aimait pas, mais elle frémit à l’idée de vivre sans l’appui de ce noble cœur. Pourquoi ? s’écria-t-elle en fondant en larmes. — Oh ! ne m’interrogez pas, dit l’artiste. Souvenez-vous seulement… Julie, je suis plus lâche que celui que j’ai tant accusé pour sa faiblesse.

— Hé quoi ! dit Julie, cette folie-là ne s’est pas éteinte ? — Est-ce qu’une âme comme la vôtre peut m’aimer, moi, après ce que j’ai fait ?…

…Madame André trouva Georges aux pieds de sa fille et Julie dit à sa mère : Je lui demande seulement d’attendre !

— Voici nos rêves qui vont se réaliser, murmura l’aïeule, je peux maintenant mourir en paix.

On était alors au commencement du second printemps. Il y avait