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LE SPHYNX.

— Ne contrains pas ton cœur, lui dit la vieille dame, tu le briserais. Georges se faisait autant de violence que Julie elle-même.

— Pourquoi le condamner si vite ? lui dit-il ; Arsène est votre Sphynx ! Qui sait ce qu’il cache ?

Elle connaissait dès longtemps la philosophie étrange de l’artiste.

— Il ne cache rien, dit-elle ; il n’a pas d’âme… Ah ! je voudrais qu’il vînt… Monsieur Georges, savez-vous pourquoi je vous ai supplié si fort de demeurer encore quelques heures ici, près de moi ? Hé bien ?

On entendit s’ouvrir la porte du jardin. — La jeune femme se leva brusquement, elle avait retrouvé toutes ses forces.

— Mettez-vous là, dit-elle ; vous allez entendre cet horrible récit qu’il exigeait de moi pour m’aimer.

Georges et madame André jetèrent un cri d’épouvante.

— Ne m’obligez point à me taire, maman, reprit-elle alors : et lorsque j’aurai achevé, vous verrez si je contrains mon cœur.

Le bel Onfray entra lentement. Il était si abattu, que Georges ne put se défendre d’un mouvement de pitié. — Lui, se traîna vers Julie.

— On dit que le magistrat est resté au petit Château ! s’écria-t-il d’un air égaré.

La jeune femme disposait des chaises en cercle avec une solennité tout aussi folle que l’attitude d’Arsène. — Elle le fit s’asseoir le premier et vint se placer devant lui.

— Je sais bien que je serai arrêtée demain, dit-elle.

Le bel Onfray alors recouvra comme par enchantement toute sa raison.

— Suivez mon conseil de ce matin, dit-il, on peut encore vous sauver du procès… Il faut parler !

Mais Julie s’arrêta ; sa fièvre était tambée.

— Merci, s’écria-t-elle. Oh ! parle pour moi !

Et elle s’élança vers le jardin.

Madame André crut que sa fille s’était enfuie… San orgueil maternel se révolta.

— Non, non, monsieur, dit-elle avec feu ; non, je ne parlerai pas.

Elle aperçut Julie qui se dressait contre la porte, et une sorte de volonté supérieure lui ouvrit la bouche.

— Baptiste était fou ! murmura-t-elle. Nous l’avions cru longtemps somnambule ; mais non… Oh ! je le vois… Quand nous le retrouvions,