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LE PRÉSENT.

L’univers éclôt et se développe peu à peu dans le sein du grand Être, de Brahma. Durant une longue série de Yugas (âges cosmiques) et de périodes terrestres plus ou moins parfaites, la création parcourt sa longue carrière de vie, d’intelligence et d’amour. Lorsque doit s’accomplir quelque grand fait dans l’ordre moral, intellectuel ou physique, intervient un avatar, ou intervention divine.

À chaque période terrestre, ou Kalpa, succède la Pralaya, ou dissolution finale. L’univers rentre dans Brahma. Le grand Être dort l’espace d’une de ses nuits, composées chacune d’une innombrable série d’années terrestres. À cette nuit de Brahma succède une nouvelle création ou plutôt une nouvelle exposition de l’univers ; et le but de l’homme, la fin suprême à laquelle il doit aspirer, est de se délivrer ici-bas des liens de la matière, de se fondre, de s’abîmer dans Brahma, pour ne plus renaître jouet des évolutions créatrices.

De ce principe panthéistique admis, commenté par toutes les sectes religieuses qui dès lors pullulaient dans l’Inde, et refondu par chacune d’elles dans le moule de leurs croyances particulières, naquirent et devaient naître de nombreux désordres dans la société indo-sanskrite. De là, l’affaiblissement de la personnalité humaine et de la raison. De là, dans les âmes ardentes, le désir immodéré de se délivrer des liens d’une création illusoire et vaine ; et dans les cœurs pervers, la soif inextinguible des jouissances matérielles et des biens de l’heure présente : de là, chez tous, la fatigue et l’ennui de la vie et des devoirs sociaux, considérés comme de simples apparences phénoménales de la substance unique ; de là, enfin, ces abus de stériles contemplations, d’existences solitaires, oisives dans les ermitages isolés, ces austérités, ces macérations, ces folies indécentes et cruelles qui ont fait de l’Inde comme le garde-meuble de toutes les aberrations qui ont souillé le cœur de l’homme depuis son premier jour. Cçfut bien pis lorsque l’esprit humain, incapable de résister à une pareille pente, et passant successivement du dogmatisme au scepticisme, de l’éclectisme au matérialisme, laissant d’âge en âge, derrière lui, des traces de grands efforts intellectuels et de déplorables erreurs, eut abouti à ce système de né* gation absolue et d’illusion universelle dont le Bagavadgita est le subtil, éloquent et mystique évangile.

Ce livre étrange, attribué d’un bout à l’autre à Krichna, le dieu le plus populaire de l’Inde moderne, est, par conséquent, la base de la