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LE PRÉSENT.

Elle ne craignit plus de s’engager dans le bois avec Arsène, et ils errèrent longtemps dans ce même chemin qui lui avait fait peur.

— Vous dites que j’ai manqué de confiance envers vous qui m’aimiez, s’écria-t-elle ; ai-je aussi manqué d’indulgence ou de faiblesse plutôt ?

— Moi aussi ! n’ai-je point été assez lâche ? murmura-t-il.

— Arsène, pourquoi vous êtes-vous brouillé avec la sœur de M. de Kœblin ?

— Parce que je vous ai aimée !

Elle ne fit aucune objection. Lui s’attendait à de vifs reproches ; mais sa première surprise étant dissipée, il voulut user d’audace peur les prévenir, et, par un geste passionné, il emprisonna Julie dans ses bras !

— Arsène !… lui dit-elle seulement.

— Ah ! s’écria-t-il, les calomnies de votre beau-frère portent leurs fruits odieux ! Vous ne m’aimez plus, n’est-ce pas, Julie, vous ne voudriez plus être à moi ?

— Vous vous trompez, répliqua-t-elle, avec son admirable candeur. Je sais bien que vous remplirez ma vie de toutes les amertumes, mais je vous appartiens. Je suis une exception entre toutes les femmes, je ne peux connaître d’autre joie que d’aimer et je ne peux me flatter qu’on m’aimera. Ah ! cette humilité-là ne sort point de mon cœur, ce n’est que ma triste situation qui me l’a donnée. Arsène, je ne crois pas que vous m’aimiez longtemps. Déjà, combien y a-t-il d’heures où vous me haïssez presque, quand vous avez… peur de moi… Cela est affreux à dire, n’est-ce pas ? Hé bien ! mon ami, je serai à vous pourtant, si vous le voulez.

— Je le veux, s’écria-t-il, en l’attirant violemment à lui.

Elle se dégagea de ses bras, sans pousser un cri, fière et forte comme une Romaine, et elle dédaigna de s’enfuir. Elle se remit seulement à marcher de son pas ordinaire, mais la tête haute et le visage en feu, vers l’extrémité de la forêt. Et lui la suivait sans oser lui demander pardon ! Une laide colère le saisit, lorsqu’au sortir de la futaie, il vit la jeune femme descendre sans frayeur au milieu des rochers, et repousser avec mépris le bras qu’il lui offrait en silence.

— Est-ce moi qui suis coupable de votre obstination à demeurer une accusée ? s’écria-t-il. Il fallait parler, vous ne l’avez point fait. Peut-