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LE SPHYNX.

— Non, dit-elle.

— Je vous en prie…

— Eh bien ! reprit la jeune femme, allons donc ; mais je me sens si ma ! que je ne sais vraiment si je pourrai vous suivre.

Elle entra dans la maison pour y chercher un chapeau de paille.

— Tu cèdes encore ! lui dit sa mère, qui était venue la rejoindre.

— Je crois bien que je marche à mon dernier combat, répliqua la jeune femme… Moreau a vu… Arsène. Mais comme il frémit d’impatience en m’attendant ! Regardez-le…

— Et si Moreau l’avait vraiment ramené vers toi ?

— Ah ! maman, s’écria Julie. Merci de ce que vous dites là ! Je vais partir heureuse !

Les deux jeunes gens traversèrent la plaine ; ils ne purent d’abord se tenir côte à côte dans les sentiers étroits, à peine tracés, au milieu des grands blés. Arsène avait prié Julie de lui servir de guide ; « car peu lui importait, disait-il, le but de la promenade, il ne voulait qu’être avec elle. » La pauvre enfant marchait avec courage contre le soleil, dont les rayons obliques brûlaient le sol sous ses pas. Arsène se précipitait au-devant d’elle, quand il la voyait impuissante à percer la muraille d’épis qui se dressait de toutes parts. Le plus souvent il la suivait, mais en silence. Ils arrivèrent ainsi jusqu’à l’extrémité des champs cultivés, au bas des pentes rocheuses où commençait la forêt. Là, Julie consentit à s’appuyer sur le jeune homme. Au sommet de la colline elle s’arrêta, déjà très-lasse, et regardant avec une vague répugnance les ombres profondes qui s’étendaient au-devant d’elle, et le chemin sous la futaie où sôn compagnon voulait la conduire. Arsène pourtant la vit s’asseoir, sans en montrer de dépit, et il se coucha sur l’herbe à ses pieds.

— Eh bien ? lui dit-elle.

— Oh ! ce que j’ai à vous dire, vous ne le croiriez point, répliqua-t-il en riant avec effort.

Il lui raconta pourtant toute la visite de Moreau.

M. le maire aurait-il eu la peine de venir me trouver, ajouta-t-il, si vous aviez voulu m’ouvrir une fois votre cœur et me raconter votre vie ?

— Encore ce supplice ! dit-elle. Marchons !