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LE PRÉSENT.

dans sa chambre et lut ce fragment de lettre : elle le remit silencieusement sur la table et alla s’asseoir près de la fenêtre.

— Ah ! Julie, dit-elle au bout d’un instant, vous m’avez fait vieillir bien vite depuis un mois !

— Maman, répondit la jeune femme avec un calme sublime, ne vous effrayez pas ! Je sais que tout ce que nous a dit mon frère est vrai.

— Alors, qu’attends-tu ? s’écria la vieille dame.

— Plus rien ; mais je voulais épuiser la coupe. Eh bien ! arrive maintenant ce que marque ma destinée ! Le recours de M. de Kœblin pouvait retarder la fin de mon malheur. Tenez, mère, je n’écrirai pas.

— Viens m’embrasser, dit l’aïeule. Mais elle tressaillit tout à coup : Arsène entrait dans le jardin.

— Mon frère a parlé ! s’écria Julie.

Madame André descendit rapidement au-devant d’Arsène, se disant, elle aussi, avec une horrible angoisse, que Moreau peut-être avait réussi.

— Je vous croyais à Bayeux ! dit-elle.

Arsène était pâle. Son regard, peu pénétrant d’ordinaire, s’attacha sur le visage de la vieille dame avec une persistance étrange.

— Je suis aise de vous trouver seule, madame, lui dit-il. J’ai vu M. Moreau.

Elle ne feignit pas de ne point comprendre.

M. Moreau a agi en bon parent, dit-elle.

Il se tut, car Julie s’approchait.

— Vous êtes donc revenu de Bayeux ? dit-elle aussi.

— Oui, oui, balbutia-t-il.

— Et pourquoi cette grande hâte ?

La jeune femme parlait d’une voix assurée ; elle sentait que l’indulgence et le pardon étaient dignes d’elle, et elle n’adressait à Arsène que de vrais sourires où ne glissait aucune ombre.

— Je brûlais de vous voir, s’écria-t-il. J’ai besoin de vous parler, — à vous seule, ajouta-t-il tout bas. Voulez-vous que nous prétextions une promenade ?

Ce mot de promenade, qui, la veille, l’eût encore ravie, la troubla extrêmement. Ce jour-là, elle n’était pas préparée contre le bonheur ou contre ce qui y ressemblait.