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ROMÉO II.

apparaissait comme une étoile. C’était, si l’on veut, le fronton du Panthéon, avec sa cohorte de Génies prêts à se mettre en marche pour la cérémonie du jugement dernier.

Il y a des artistes, dont le regard a eu l’audace d’embraster un tel sujet et de le fixer sur une toile. Ils ont tous à leur insu peint la confusion et la tour de Babel, parce qu’ils s’imposaient une tâche au-dessus des forces de l’intelligence humaine. Et cependant, qui oserait nier qu’une bibliothèque ne renferme les éléments de ce gigantesque Pandémonium ? En vertu du cri sublime de la conscience, qui faisait dire à Rousseau qu’il étouffait dans l’univers, l’homme peut puiser dans les cases de son cerveau une sorte de vague intuition, qui parfois le tente et le met aux prises avec le désir insensé de contempler face à face le grand soleil humain, que forment, groupés ensemble, tous les grands esprits qui, depuis des siècles, ont distillé la vérité et l’erreur dans ce grand livre dont la première page commence à la Genèse, et la dernière s’arrête au journal !

Ce sont là d’abstraites réflexions qu’il faut laisser de côté pour en revenir au héros modeste de cette histoire, c’est-à-dire à un pauvre et simple amoureux, accomplissant, si l’on veut, sa descente aux enfers, non pour voir, comme Enée, des guerriers illustres, mais pour chercher sa belle et lui demander ses sourires.

À peine entré dans la grande salle, Mathieu passa près de deux ombres assez tristes : c’étaient celles de l’auteur de l’Art d’aimer et de l’auteur de l’Art de mettre sa cravate. Gentil-Bernard lui demanda si les femmes se laissaient toujours fléchir par les moyens qu’il avait indiqués. Mathieu lui répondit qu’on trouvait ses préceptes aussi mauvais que ses vers, et que, généralement en amour, la pratique persistait à né tenir aucun compte des conseils de la théorie. Cette critique sévère fit sourire l’auteur de l’Art de mettre sa cravate. « Pour fléchir une cruelle, dit-il à Gentil-Bernard, il y a un moyen bien plus infaillible que vos conseils. Il faut aller trouver le serpent et lui demander du fruit défendu. Ce reptile, bien mieux que vous, a découvert le secret de la tentation. Il en savait plus dans deux anneaux de son corps, que vous dans tous les chants de vos poëmes. » Gentil-Bernard, indigné de cette attaque, répondit que la nullité de l’Art de mettre sa cravate avait fait inventer les cols de satin noir. La dispute promet-