Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/280

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
268
LE PRÉSENT.

cite de ce choix, et je reconnais qu’il est plein de poésie. Vous avez cherché Juliette sur la terre, mais, hélas ! c’est en vain que vos yeux ont demandé aux femmes parmi Lesquelles nous pouvons choisir, les joues pâles, les cheveux noirs et les yeux vifs de votre idole. Déçu de ce côté, vous vous êtes retourné vers le livre de Shakspeare, qui seul était capable d’accuser avec netteté la silhouette de votre caprice. Ce livre n’offrait, il est vrai, à vos désirs qu’une ombre fugitive ; mais cette ombre était encore préférable au néant où vous retombiez dès que vous ne lisiez plus. L’habitude, venant au secours de la passion, vous a conduit à l’état misérable où vous êtes en ce moment. Osez nier que je ne viens pas de raconter avec exactitude le roman de votre cœur ?

La trompette du jugement dernier se serait fait entendre pour Mathieu, qu’il n’aurait pas été plus troublé qu’il le fut par ce discours. Emporté par une sorte de force convulsive, il saisit la main du docteur et lui dit en frémissant :

— Vous êtes le diable ! j’ai peur ! Éloignez-vous, ne m’emmenez pas sur la montagne !

— Présomptueux, reprit le docteur, je ne suis pas le diable ; mais cela ne m’empêchera pas de vous tenter, car apprenez que, si je veux bien y consentir, vous pourrez obtenir un rendez-vous de Juliette et vous trouver seul avec elle.

Il n’existe pas de mots pour peindre la joie et la béatitude qu’éprouva Mathieu en écoutant ces paroles. Il jeta sur le docteur de grands yeux remplis de surprise, d’étonnement et de doute. Après un instant de silence, il dit au docteur :

— Ne jouez pas avec ma passion ; elle est insensée, j’en conviens, mais réelle, très-réelle. Plaignez-moi, monsieur, et, au lieu de vous divertir avec la fatalité qui m’accable, indiquez-moi plutôt le moyen de m’y soustraire et de retrouver le calme d’esprit après lequel en vain j’aspire de toute la force de mon âme.

Mathieu avait prononcé ces paroles avec un ton modeste et suppliant qui eût impressionné le démon lui-même.

Le docteur en fut frappé. Ce ton lui fit comprendre à quel point le pauvre esprit malade dont il entreprenait la guérison était dominé par la passion bizarre qu’il avait conçue. Pour continuer sa tâche, il reprit ainsi :