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ROMÉO II.

le rendait si rebelle à leurs projets de famille ; on lui délégua même toute autorité pour prescrire un régime ou pour infliger une punition.

À peine averti, le docteur Pétrus se mit en campagne. Comme il n’était pas connu de Mathieu, il lui fut, par cette raison, d’autant plus facile de le surprendre. Il se présenta chez lui, dans son domicile d’étudiant, situé dans l’hôtel de la rue Christine.

Il le trouva lisant un livre qui paraissait absorber toute son attention. Il ne se fit point connaître, et assigna pour but à sa visite un motif insignifiant. Il fit à Mathieu plusieurs questions assez vagues, auxquelles ce dernier répondit, sans soupçonner aucunement qu’il se trouvait en face de l’homme chargé de sonder les replis de son cœur.

Le docteur Pétrus, en sortant de cette première entrevue, écrivit à la famille une lettre ainsi conçue :

« J’ai vu le malade que vous m’avez confié. Je ne puis préciser encorc la nature de sa maladie, mais je suis sur la trace de ce que je cherche.

Mathieu lisait Roméo et Juliette. « Ce symptôme est grave !… Cependant je crois la guérison certaine. »

On devine d’avance que cette explication fut de l’hébreu pour madame Casimir et pour M. Duprat. Quant au docteur, il affirma qu’il saisissait toute la portée de cette lettre.

Il importe, avant que d’aller plus loin dans ce récit, de dire quelques mots du docteur Pétrus. C’était un homme d’environ soixante ans. Il avait les yeux vifs, la bouche pincée et la tête chauve, à l’exception toutefois d’une zone de cheveux blancs qui l’encadraient én manière d’anneau de Saturne. Comme médecin, il négligeait les maladies du corps, et, depuis longues années, il ne traitait exclusivement que celles de l’esprit. Une académie de province lui avait décerné une couronne pour un long traité consacré au spleen et à la folie, dans lequel il avait eu l’audace d’assigner une forme et une place à l’âme dans le corps humain.

Dès le lendemain de sa première visite à Mathieu, le docteur Pétrus avait acquis la certitude que cet esprit malade avait coutume de s’en aller chaque jour à la bibliothèque de la rue Richelieu, et d’y lire sans cesse et toujours la pièce de Shakspeare intitulée Roméo et Juliette. Il se rendit lui-même à la bibliothèque, et, dans ce qu’on appelle la salle du Zodiaque, il découvrit, au milieu des esprits studieux penchés