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LE PRÉSENT.

démon, Mathieu avait été installé à Paris, au premier étage d’un hôtel de la rue Christine.

Vœ soli ! dit l’Écriture dans sa sagesse. C’était sans doute pour la plus grande gloire d’une fleur d’innocence que Mathieu se trouvait éloigné du foyer paternel ; mais ce sacrifice, quelque méritoire qu’il fût, ne le préserva pas du péril inhérent à sa situation. Passionné pour la lecture, il ne s’en alla point comme les autres, dépenser l’activité de sa jeunesse au milieu des tumultes ; il s’abîma sur les livres, et découvrit dans leurs muets replis, des sirènes bien autrement redoutables que celles qu’il eût pu rencontrer à la Chaumière ou à l’Opéra.

Lorsqu’il reçut, après cinq ans d’absence, cette lettre de son père qui l’engageait à venir le retrouver, il éprouva, en obéissant à cet ordre, plus d’étonnement que de joie. Il partit, parce qu’on le lui ordonnait ; mais, s’il avait consulté l’état de son esprit et de son cœur, il serait resté.

L’image de sa cousine, qu’il avait presque totalement oubliée, ne pouvait, ainsi qu’on va le voir d’ailleurs, influer en aucune façon sur lui.

Il ne faudrait point croire que Mathieu fût un être insensible. Il était au contraire très-passionné, très-enthousiaste ; seulement son enthousiasme à lui pouvait être confondu avec l’indifférence. Un observateur seul aurait pu assigner une cause à son attitude étrange, et deviner par suite de quel vice de direction il en était arrivé à l’espèce de torpeur qui le dominait à ce point de ternir son regard, et d’étendre sur son extrême jeunesse un reflet de caducité.

Mathieu, vivant seul, n’avait confié à personne le secret de son esprit, et en allant chez son père, il se promettait bien de lui cacher ce secret plus hermétiquement encore qu’aux autres. L’état d’absorption dans lequel il était plongé était tel, qu’il ne se demandait plus depuis longtemps pourquoi on le tenait éloigné de son père et des siens, pas plus qu’il ne songeait à s’expliquer pourquoi on le relevait de l’exil. Il ne se plaignait pas d’ailleurs, et se trouvait très-heureux de vivre et de pouvoir se consacrer tout entier à une sorte de contemplation mystérieuse, source infinie pour lui de jouissances et de consolations.

Mais sous le toit paternel, où tout se mettait en fête pour le recevoir, on ne soupçonnait aucunement cette attitude étrange.

Madame Casimir, pour mettre le comble à l’éblouissement que Mathieu, selon elle, devait éprouver en contemplant sa cousine, avait paré