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LE PRÉSENT.

de mon avis. — Un roman en vers ! il n’y a que les jeunes gens pour avoir de ces idées. L’auteur se sera dit : « Il faut pour être lu faire du roman, et je ne veux faire que des vers ; concilions les deux choses en faisant un roman en vers. » Et il l’a fait, et il a fort réussi. J’espère que M. Vernier fera un jour du théâtre. Il a pour cela de précieuses qualités, un style sûr et facile, de l’émotion, de l’invention. J’applaudirai du cœur et des mains à son premier succès.

LE GÉNIE FRANÇAIS.
ÉMILE MONTÉGUT.

L’opuscule de M. Montégut n’est qu’une promesse, mais cette promesse équivaut à un beau livre. M. Montégut publiera, sous peu, une édition complète de ses travaux dans la Revue des Deux Mondes, travaux sérieux qui, depuis dix ans, ont jeté assez d’éclat pour que nous soyons dispensés de les rappeler ici. C’est ému sans doute d’une haute pensée patriotique, que M. Montégut a écrit ces quelques pages. Il s’est attaché à un problème difficile : j’entends l’explication nette enfin de ce génie français si diversement jugé, si souvent méconnu depuis quelques années surtout, et ce problème il l’a résolu. « Nous ne sommes contradictoires qu’en apparence, a dit l’écrivain : la France est avant tout un pays d’idéal. » L’histoire est là pour prouver la vérité de ce mot qui résume tout notre génie. Aucun autre peuple, en effet, n’eût été capable de ces deux grands mouvements qui ont renouvelé la face du monde, mouvements désintéressés par excellence, qui s’appellent la première croisade et la Révolution.

Et pourtant, suivant l’auteur, ce génie, tout glorieux qu’il soit, a ses défauts. Il paraît que nous péchons pour être trop bien doués et que la plupart de nos malheurs, nos abaissements rapides, nos fréquentes chutes, ne viennent que de cette tendance fatale qui nous porte à nous exagérer nos propres qualités. « Exagérant son grand sentiment de l’idéal, comme étant en dehors de l’homme et devant lui être imposé ; jamais il (le peuple français) n’a cherché ni à le découvrir ni à le placer en lui. Épris de son amour de l’unité, il n’a pas voulu admettre de dissidence, ni reconnaître de différence dans le monde. Aussi n’a-t-il jamais connu l’individu. Sa brillante civilisation si intellectuelle, si morale, a été frappée d’une demi-stérilité par cet oubli et ce dédain. »

Mais cet oubli et ce dédain de l’individu n’est-il pas chez nouslecoroUeire de et sentiment libre et désintéressé qui nous a fait faire tant de grandes choses, qui est comme un feu sacré que les sottes et fatales tendances de notre époqne n’étoufferont point ? M. Montégut ne peut désirer que nous sortions d’uûe tradition